Un beau soleil intérieur – critique

Isabelle, divorcée, un enfant, cherche un amour. Enfin un vrai amour.
(Allociné)

Je sais pas pourquoi je suis allé voir ce truc alors qu’en tombant sur l’affiche dans la rue, le titre, la tronche de Binoche et la longue liste d’acteurs autour d’elle je me suis dit « popopopo c’est quoi cette horreur? »

Et en fait c’est pas si terrible que ça. C’est à la fois insupportable et juste, parfois drôle, volontairement et involontairement, parfois touchant, parfois gênant.

A un moment, la Binoche est dans son lit, elle a manifestement pleuré. Elle se redresse un peu, suffisamment pour dévoiler son oreiller taché de larmes et de bave-du-coin-des-lèvres.

A un autre moment, elle et quelques confrères du monde de l’art contemporain (elle est artiste) se rendent dans la Creuse pour un festival. Ils se baladent dans la nature et commencent à pérorer à tour de rôle sur la vraie campagne, ses paysages de rien pourtant magnifiques etc etc (parmi les pédants,  Bruno Podalydès et Bertrand Burgalat notamment). La Binoche explose alors, excédée et les renvoie à leur vanité / fatuité.

Tout ça pour dire qu’Un beau soleil intérieur prête souvent le flanc à la caricature mais qu’il semble en avoir conscience et c’est ce qui le rend intéressant: on a l’impression d’une tension et d’une recherche permanentes du ton juste, de la distance juste, difficile mais tenace, de la même manière qu’Isabelle, le personnage interprété par Juliette Binoche, cherche l’amour, le vrai.

« On a ri mais on a ri ! »

C’est assez courageux quelque part de réaliser un film aussi français, c’est à dire qui place la parole et les atermoiements amoureux au centre des enjeux (je synthétise), tout en en ayant conscience et en essayant donc de proposer quelque chose d’un peu nouveau ou, au moins, d’un peu différent. Pas toujours facile de trouver des variations autour du champ-contre champ, Claire Denis y parvient en scrutant les visages de très près, notamment celui de son actrice principale dont le film pourrait être un portrait en réalité (ce que tendrait à confirmer l’amorce de l’étonnant générique de fin).

Un beau soleil intérieur se termine nettement mieux qu’il n’a débuté, avec un enchaînement de scènes remarquables: d’abord drôle grâce au toujours génial Bruno Podalydès puis touchante avec l’énième confrontation d’Isabelle avec l’un de ses amants et enfin quasiment mythique grâce au gros Gégé, le seul, l’unique, ici dans le rôle pas du tout innocent du révélateur.

A voir donc je pense.
Après évidemment, il faut être capable
1. de se cogner un film qui s’intitule « un beau soleil intérieur ». C’est pas donné à tout le monde.
2. aussi belle soit-elle, et elle est vraiment très belle, de supporter des scènes où la Binoche pleurniche sur fond de jazz chiant. Ca aussi c’est costaud.
Parenthèse: le jazz chiant est signé, comme quasiment toujours chez Claire Denis, Stuart Staples des Tindersticks ici en mode non-mais-sans-déconner : j’ai toujours tenu les Tindersticks pour un des groupes les plus surestimés qui soient mais alors là le mec se surpasse dans l’indigence.

Et c’était pas vraiment une parenthèse car j’ai fini.

Top 10 cinéma 2016

Un top 10 encore plus difficile à établir que d’habitude compte tenu du grand nombre de très bons films vus cette année. Et un top 10 assez raccord avec tous ceux que j’ai pu voir ici ou là, c’est bien la 1ère fois que ça m’arrive : Grande remise, le blog de la gauchiasse boboïsante.
1ère partie de mon top 2016 ici. Les flops ici. Le top 10, c’est juste en dessous et c’est très long : j’avaie pas envie de parler de tous les films que j’avais vus cette année mais je me suis un peu lâché sur ceux dont j’avais envie de parler.

10 Paterson

Beau film, très caractéristique de la veine la plus zen de Jarmusch : le dispositif fonctionne à merveille, le fond et la forme s’emboîtent hyper harmonieusement. Après… je suis un poil gêné par les petites touches de moquerie, les petites piques de Jarmusch, sa condescendance parfois, si je dis les choses, à l’encontre notamment du personnage de Laura (Golshifteh Farahani). Condescendance ou tendresse amusée ? Je ne sais pas trop mais quoi qu’il en soit, l’ambiguïté quant au regard porté me semble un peu en contradiction avec les sentiments purs et francs, la bienveillance totale véhiculée par ailleurs. Bon, c’est un détail mais ça m’a un peu gêné. Et ça me gêne d’être gêné car j’aurais aimé aimer ce film sans aucune réticence, parce qu’on s’y sent bien, que c’est un film généreux et sensible et surtout que c’est un film profondément heureux, si tant est qu’une telle chose soit possible, qui montre en tout cas le bonheur de manière assez inédite il me semble, c’est à dire avec les habits de la routine, de la répétition. Et qui utilise lui aussi la routine, la répétition pour ce faire (le fond/la forme, tout ça). En y repensant et en tapant ces quelques lignes, c’est quand même un très beau film et j’ai déjà envie de le revoir… Adam Driver y est fabuleux.

paterson

9 Gaz de France

Wikiremise : Benoît Forgeard est un auteur et cinéaste aujourd’hui surtout connu pour ses chroniques de film à sortir dans 10 ans dans le magazine So Film. Chroniques compilées dans un super bouquin paru récemment, L’année du cinéma 2027. Super bouquin à (s’)offrir. Il a réalisé pas mal de courts-métrages et il a été aux manettes en compagnie de Bertrand Burgalat de 4 épisodes du Ben & Bertie Show, « OVNI télévisuel » comme on dit, mêlant intrigue loufoque entrecoupée de lives impeccables, diffusé à pas d’heure sur Paris Première. Je suis hyper fan des 3 premiers volets (L’année bissexuelle, Ceux de Port-Alpha, L’homme à la chemise de cuir), un peu moins du 4ème, L’incruste. Je suis sûr qu’ils sont trouvables ailleurs que sur le DD de ma Bbox, dans le monde merveilleux de l’Internet et je conseille plus que vivement leur visionnage.
Gaz de France est dans la droite ligne du Ben & Bertie Show, avec un registre humoristique qui n’appartient qu’à lui (minimaliste voire inerte, fantasque, absurde, pince-sans-rire… j’allais dire « décalé » faute de mieux mais à ce stade là c’est carrément « hors cadre ») et un style visuel très fort : l’utilisation quasi systématique d’écrans verts permet à Forgeard de déployer beaucoup d’aplats de couleurs, ce qui donne un résultat à la fois très beau et très étrange, unique en tout cas. Gaz de France est un OVNI là aussi, une critique élégante et jamais appuyée du monde de la communication et du storytelling politiques dans lequel Philippe Katerine incarne le président de la République. Je vais pas te mentir : ce registre humoristique n’est pas fait pour tout le monde. Je pense pour ma part qu’il s’agit, de très loin, de la meilleure comédie française de l’année avec La loi de la jungle.

gaz-de-france

8 Le Voyage au Groenland

Second film de Sébastien Betbeder cette année, seconde réussite. Je préfère nettement celui-ci à Marie et les naufragés (que j’ai néanmoins beaucoup aimé), car il me semble plus intime, plus mélancolique et drôle à la fois, plus maîtrisé aussi. Ici, le besoin de fuite des 2 héros s’explique et se matérialise de façon plus naturelle selon moi. Sans oublier l’aspect ethnographique du film, avec cette immersion dans ce village du Groënland et dans cette vie si différente. Un film très doux dont j’aurais bien aimé qu’il se prolonge mais qui s’arrête pile au bon moment, en écho à son ouverture, formant ainsi comme une parenthèse hors du monde, littéralement.

le-voyage-au-groenland1
A partir de là, le classement ne veut plus trop rien dire, enfin, encore moins qu’auparavant :  les 7 films suivants se distinguent vraiment des autres, je les ai tous énormément appréciés et ils font de 2016 une année de très haut niveau moi. Après, leur ordre…

7 La loi de la jungle

Antonin Peretjako était récemment l’invité de la Carte blanche de Marie Richeux sur France Culture. Il devait sélectionner 5 films illustrant ce qu’était pour lui « le jeu » chez un comédien. Ses choix : Le grand restaurant, Bocacce 70 (le sketch réalisé par Fellini), Nouvelle Vague, Fitzcarraldo, Othello. Il parlait de tous ces films et de tous ces comédiens (Louis De Funès, Klaus Kinski, Orson Welles etc) avec générosité, érudition et simplicité, faisant l’éloge du rire de Jean Dujardin, expliquant ensuite qu’un acteur doit pouvoir/savoir changer de voix suivant le rôle qu’il interprète (comme le faisait Orson Welles) etc.
Bon, tout ça pour dire que si ses films sont aussi géniaux, c’est précisément parce qu’il connait aussi bien la filmographie de Louis de Funès que de Werner Herzog, qu’il a été autant influencé par Claude Zidi que par Godard.
Tout ça pour dire, bis, que malgré un plus gros budget, un plus « gros » casting et certainement de plus grosses contraintes, La loi de la jungle est un film aussi libre, loufoque, original et drôle que La fille du 14 juillet. Un petit surcroît d’émotion en prime.

la-loi-de-la-jungle

6 Aquarius

Un peu comme dans The Strangers, il y a plusieurs films dans Aquarius. Chacun d’eux est d’une excellence et d’une subtilité infinie (la chronique familiale, le film social, le portrait de femme) mais à l’inverse du film de Na Hong-jin, qui joue en permanence sur la confrontation directe et virulente (des personnages mais aussi des genres), sur une certaine violence aussi bien graphique que stylistique, le film de Kléber Mendoça Filho les fond dans un ensemble doux et harmonieux : un flot d’images, d’idées, de paroles, de sentiments et d’histoires dans lequel il fait bon se plonger, comme il fait bon se plonger dans les disques de variété brésilienne que chérit Clara, l’héroïne du film. Ca n’exclue évidemment pas la violence non plus mais de la même manière, celle-ci prend les atours du beau gosse promoteur immobilier aussi charmant et bien éduqué qu’ambitieux et sans scrupules. Le film le plus ouvertement politique et partisan de 2016 est ainsi le plus élégant et raffiné. Sublime.

film-aquarius

5 Rester vertical

J’avais déjà beaucoup aimé L’inconnu du lac, précédent film d’Alain Guiraudie mais je l’avais trouvé un peu trop parfait, un peu trop sage presque. Et ses précédents films, je les trouvais au contraire trop bordéliques, trop foutraques. Là j’ai eu l’impression d’une synthèse parfaite : un truc bordélique maîtrisé de A à Z. De la même manière, j’ai rarement vu un film aussi en prise avec la France de 2016 (les SDFs, les jeunes qui veulent tous partir en Australie) et en même temps aussi hors de tout (de tout contexte géographique, historique, événementiel). On est en Lozère et le plan suivant, le plus naturellement du monde, au bord de la mer (Le Havre ?). On va consulter une mystérieuse guérisseuse au fond des bois. On sodomise un vieillard mourant. Le plus naturellement, le plus doucement du monde : aucune provocation ici, les actes les plus incongrus semblent aussi les plus logiques. S’agit-il d’un rêve, d’un cauchemar, d’une « vraie » histoire ? On s’en fout. En tout cas je m’en fous : ce que j’ai vu était suffisamment puissant et beau pour que je ne cherche pas à en savoir davantage. Rester vertical est tellement unique que j’ai rarement eu autant le sentiment que c’est un poète qui tenait la caméra.

rester-vertical

4 Julieta

Il y a dans Julieta ce qui est peut-être LA scène de 2016. Une idée de cinéma au sens pur, d’une limpidité dans ses intentions et dans son exécution qu’elle aura marqué aussi bien les spectateurs occasionnels que les cinéphiles les plus aguerris : je parle bien sûr de la séquence dans laquelle Julieta (interprétée par Adriana Ugarte) sort du bain aidée de sa fille et de l’amie de celle-ci. Elles l’installent sur une chaise et entreprennent de lui sécher les cheveux avec une serviette rouge qui fait écho au rideau rouge qui ouvre le film. Lorsque la serviette/rideau est soulevée, c’est le visage de l’actrice Emma Suarez, interprète de la Julieta plus âgée du film, qui apparaît.
Par ce simple plan génial, par ce raccord aussi évident qu’inattendu, Almodovar dit, montre et incarne tout : ce qu’est le cinéma (transmettre une idée par les images), ce qu’est un réalisateur de cinéma (quelqu’un qui est capable d’avoir une idée transmissible par les images), ce qu’est Julieta : une mère raconte son histoire à sa fille, de sa jeunesse à l’âge mûr, avec ce qu’elle comporte de douleurs et de souffrances sur la durée. Ce plan et cette idée spectaculaires, aussi impressionnants qu’émouvants, résument également à eux seuls le registre du film dans son ensemble : un mélo flamboyant et rocambolesque qui touchent en plein cœur. D’aucun l’ont d’ailleurs jugé trop rocambolesque, je ne suis pas d’accord : Almodovar essaie simplement de se mettre au niveau de la réalité qui, on le sait bien, sera toujours plus incroyable que la fiction.

julieta

3 Les 8 salopards

Que dire qui n’ait déjà été dit ? Il s’agit en effet du Tarantino le plus « politique », tout en préservant le côté ludique et jouissif propre à son cinéma. C’est toujours aussi énergique et vivant quoi, avec en plus une forme de maturité, dans la droite lignée de Django Unchained. En fait, le mec a atteint une telle maîtrise que pour moi la question de savoir si Tarantino est un grand ou pas ne se pose plus et si je pouvais parfois comprendre les réserves des détracteurs, je les considère désormais comme des pisse-froids. Alors comme ça on peut piocher dans le passé et faire des « mash up » ou des collages (je résume) en musique, en art contemporain, en cuisine, que sais-je encore, dans d’autres films même, mais PAS Tarantino, lui il a pas le droit, beurk, c’est un voleur, c’est paresseux, c’est caca. Allons allons, un peu de cohérence et d’honnêteté…
A part ça, cette séance était un énoooooooooorme kif (à tel point que j’ai dit « énorme kif », t’as vu), une séance parfaite modèle : j’adore les westerns, alors aller voir un western au ciné, en VO, dans une grande salle, un western de Tarantino, avec un tel casting, pendant 3h, quel pied bordel ! J’en suis ressorti avec le sentiment d’avoir assisté à une Séance de Cinéma avec un grand S et un grand C, telle qu’on n’en vit pas assez souvent.

huit-salopards-2

2 The Strangers

Séance parfaite encore, minorée de l’aspect « grande salle » mais avec bonus j-ai-l-impression-que-je-suis-pas-tout-seul-dans-ma-chambre-c-est-quoi-ce-bruit-putain ? au moment d’aller se coucher. Il y a plusieurs films en 1 dans The Strangers (polar, chronique familiale, sociale, rurale, film d’horreur, film fantastique, métaphysique, que sais-je encore) et chacun d’eux figurerait dans les meilleurs de l’année, mais ce qui en fait une si grosse claque, c’est le « en 1 » bien sûr puisqu’on voit rarement « ça » sur un écran. Avec en prime, encore, ce sentiment de se faire trimbaler avec délectation par un réalisateur qui n’aime rien tant que varier les atmosphères et les registres donc mais aussi les retournements de situation. Le film nom-de-Dieu-de-bordel-de-merde de l’année.

the-strangers

1 Elle

On a pu lire un peu partout à quel point le film était subversif, voire transgressif, provocateur, méchamment drôle etc. à quel point il filait un bon coup de pied au cul du cinéma français. C’est très juste mais je pense que c’est encore en deçà de la réalité : ce film est le truc le plus punk vu depuis des années. Mais d’une punkitude en gants de velours, fine et intelligente, jamais gratuite ou adolescente : une punkitude de vieux grigou qui en a vu d’autres (et qui m’a renvoyé au radicalisme de William Friedkin et de son Killer Joe il y a quelques années). Plus punk en tout cas que les blaireaux grolandais et auto-proclamés Kervern et Delepine pourront jamais envisager de l’être, la classe en prime.
Quelques mois plus tard, j’ai revu Black Book, le précédent film de Paul Verhoeven : chef d’œuvre là aussi, tout aussi libre, drôle, intelligent, choquant parfois. S’ensuivait (c’était sur Arte) un reportage retraçant la vie et la carrière de Paul Verhoeven. De voir tout ça résumé en 1h à peine, ça m’a sauté aux yeux : quelle filmographie bordel, c’est vraiment un des plus grands, on ne le souligne pas assez… Trop subversif peut-être, y compris pour la critique et la cinéphilie ?
Ce que j’aime particulièrement dans ses 2 derniers films (Elle et Black Book donc), mais qui parcourt également bon nombre de ses œuvres précédentes, c’est cette énergie dingue, cette pulsion de vie qui les traverse et anime tous ses personnages principaux, malgré l’omniprésence du drame et de la Mort autour d’eux. Rachel dans Black Book ou Michèle dans Elle (magnifiques Carice Van Houten et Isabelle Huppert), sont des forces qui vont et que rien ne semble pouvoir arrêter, jamais. Grand cinéaste féministe, Verhoeven leur dresse un autel parfois paillard, les célèbre avec enthousiasme, gourmandise et intelligence en même temps qu’il célèbre la Vie. Grand film donc et grand réalisateur.

elle-1460635220

#51 April March – Triggers

april-march-triggers

J’ai déjà pas mal parlé des disques Tricatel et de Bertrand Burgalat sur ce blog (ici, ici, ici et même ).

Je considère cet album comme son meilleur en tant que producteur : l’apport d’AS Dragon a parfaitement été digéré et intégré (le groupe est devenu pour ainsi dire le groupe du studio dans son ensemble) et les influences soul de plus en plus prégnantes se fondent merveilleusement dans l’univers plus précieux d’April March. Certains textes sont d’une poésie et/ou d’une intelligence rares, parmi les meilleurs de toute la pop française (Le Code Rural, Le Cœur Hypothéqué). La pochette est sublime, et il y a à l’intérieur du disque une non moins sublime photo qui selon moi résume parfaitement tout l’esprit du disque, et du label : élégant et sophistiqué sur la forme, subversif sur le fond :

578951-3121

#40 Michel Houellebecq – Présence Humaine

3298491600077_600
Voilà un album dont la réputation est peu à peu en train de s’affirmer et de s’établir : c’est souvent la même histoire, à force de répéter que tel disque est un classique oublié, il devient un classique tout court au bout d’un certain temps.

En tant que fan de Bertrand Burgalat ET de Michel Houellebecq, je l’ai évidemment tout de suite acheté, aimé et élevé au rang de classique de ma discothèque.
Si le rapprochement entre les 2 auteurs a pu paraître très surprenant à première vue, il est ensuite devenu l’évidence même : l’univers ultra pop et coloré de Burgalat se révèle souvent plus inquiet qu’il n’y paraît et l’écriture de Houellebecq, souvent qualifiée de glauque (pour faire court) n’en est pas moins pourvue d’un vernis ou d’aspirations très solaires. Sommets du genre, Playa Blanca et les Pics de pollutions, qui donnent à la fois envie de jerker avec style ET de se foutre une balle dans le cul (« Fin de soirée, les estivantes prennent un 2ème apéritif. Elles échangent des regards pensifs, remplis de douceur et d’attente »).

Présence humaine c’est aussi la naissance de l’un des meilleurs groupes français du monde, les magnifiques AS Dragon première mouture. J’ai dit tout le bien que je pensais d’eux dans ce papier. Et leur album live, en compagnie de Burgalat, fait partie de mon top 100.
C’est cependant le groupe Eiffel qui joue sur Présence humaine : AS Dragon s’est formé pour la tournée consécutive à la sortie du disque. Le clavier du groupe, Michaël Garçon, revient ici sur un des moments les plus WTF, sublimes et wock’n’woll de l’histoire du rock français.

J’ai eu la chance d’assister au concert toulousain de la tournée et 15 ans après, ça reste un souvenir très fort et vivace : Michel Houellebecq, transpirant et quasiment en transe dans sa parka, déclamant ses textes en dépit de tout sens du rythme, accompagné d’une bande de mecs un peu louches, super classe et qui envoient avec nonchalance, sinon détachement, un rock teinté de heavy soul qui tabasse violemment. Grand souvenir.

La mise au point

Reçu dernièrement:

Merci Laurent, les articles de la Grande remise m’ont ouvert les yeux et remis dans le droit chemin: c’est trop un boloss en fait Leos Carax.

ou encore

Super ton dernier article sur la Grande remise

xoxo ❤ ❤ ❤

Zooey

Ce matin encore dans la rue, un jeune gommeux m’a hélé depuis le trottoir d’en face: « Ouais la Grande remise, tranquille ou bien? »

J’aurais sans doute dû être plus clair depuis le début, je ne leur en veux pas. Mais que les choses soient claires: c’est Grande remise, pas LA Grande remise.

Pourquoi? Voilà pourquoi:

La tuerie

Je vais pas y aller par 4 chemins : à l’époque, A.S Dragon n’est pas seulement le meilleur groupe de rock français, il est avant tout le seul. De tous les temps. Ecoute le live Bertrand Burgalat meets A.S Dragon et essaie de me prouver le contraire : impossib.

bertrand-burgalat-meets-as-dragon-102468039
Chéri BB et ses petites frappes

Je n’ai vu le groupe qu’une fois sur scène, en tant que backing band de Michel Houellebecq : je me souviens autant de la transe hallucinée/ante d’un Michou transpirant dans sa parka que de ce groupe super précis, à la dégaine d’enfer, bastonnant ses instruments avec un détachement classieux et délivrant une espèce de heavy soul late sixties souple et puissante tout simplement sans précédent dans l’Hexagone. Le contraste entre les chansons pop de Burgalat ou les textes de Houellebecq et leur interprétation à la fois sensuelle et dangereuse par le groupe fonctionnait à merveille. Ca serait d’ailleurs une très bonne définition du rock (ou de la subversion, c’est pareil) selon moi: des chansons d’angelots interprétées par des mecs un peu chelou. Lorsque le groupe joue ses propres compositions, plus traditionnelles, moins inspirées il faut bien l’avouer, de manière là aussi plus traditionnelle et généralement plus rentre-dedans, le résultat est nettement moins intéressant. Plus prévisible en tout cas.

Le groupe bénéficiait alors de l’apport de Peter Von Poehl à la guitare rythmique et de Fred Jimenez à la basse : le premier s’est lancé dans une honorable carrière solo, la second a revigoré (et pas qu’un peu !) la carrière ronronnante de Jean-Oui Murat. Il a également sorti un charmant album solo. Depuis leur départ en tout cas, c’est plus pareil.

J’ai eu beau chercher les infos, j’ignore exactement qui joue sur leur reprise d’ Easy Tiger de Depeche Mode mais j’aime à croire qu’il s’agit de cette mouture là, celle qui accompagnait Houellebecq sur scène et qui était présentée par Bertrand sur le live dont je parle plus haut :

Batterie : Hervé Bouétard
Basse : Fred Jimenez
Claviers : Mickael Garçon (et Bertrand bien sûr)
Guitares : Peter Von Poehl et Stéphane Salvi

Sauf que problème, j’entends qu’une guitare sur Easy TigerSalvi je pense…
Non mais c’est important, j’aimerais bien savoir moi ! Parce qu’Easy Tiger nom de Dieu… Ce morceau me rend dingue, littéralement : j’y reviens régulièrement depuis que je l’ai découvert il y a quelques années et quand j’y reviens, c’est pas pour rien : plusieurs écoutes par jour, pendant plusieurs jours. Je le connais par cœur évidemment : l’intro sépulcrale, l’arrivée cool et menaçante à la fois, en mode James Bond, de la basse sinueuse et dandy, puis avec la batterie aux breaks as if there was no tomorrow, la mise en place d’une rythmique DE DINGUE, répétitive et groovy; c’est elle qui donne vie à Easy Tiger, qui apporte sa véritable pulsation à un morceau à la base plutôt minimaliste, voire famélique ; suivent les inévitables chœurs éthérés et le petit clavier « spécial Bertrand ».

Tout ça c’est déjà super mais la grande affaire d’Easy Tiger c’est la guitare : monomaniaque, maniaque tout court, acérée, vicieuse, elle est la coupe au bol de Brian Jones, les costards cintrés des Small Faces, la morgue des Yardbirds, en un mot, la classe à l’état pur. C’est sans doute ma partie de guitare préférée… Sachant évidemment qu’en tant que fan de pop, les parties de guitare hein… Mais quand même, mais quand même… Ca fait en tout cas d’Easy Tiger mon number 1 du top des chansons qui me rendent dingue (si t’as un peu suivi, t’en connais 3 autres).