Expo 58 – critique

Londres, 1958. Thomas Foley dispose d’une certaine ancienneté au ministère de l’Information quand on vient lui proposer de participer à un événement historique, l’Exposition universelle, qui doit se tenir cette année-là à Bruxelles. Il devra y superviser la construction du Pavillon britannique et veiller à la bonne tenue d’un pub, Le Britannia, censé incarner la culture de son pays. Le jeune Foley, alors qu’il vient de devenir père, est séduit par cette proposition exotique, et Sylvia, son épouse, ne voit pas son départ d’un très bon œil. Elle fera toutefois bonne figure, et la correspondance qu’ils échangeront viendra entrecouper le récit des nombreuses péripéties qui attendent notre héros au pays du roi Baudouin, où il est très vite rejoint par de savoureux personnages : Chersky, un journaliste russe qui pose des questions à la manière du KGB, Tony, le scientifique anglais responsable d’une machine, la ZETA, qui pourrait faire avancer la technologie du nucléaire, Anneke, enfin, l’hôtesse belge qui va devenir sa garde rapprochée… (Babelio)

2019, année de la lecture: trop de magazines, trop d’articles en ligne, aussi intéressants soient-ils, m’ont détourné des romans et essais. Ma grande résolution de l’année, c’est donc de m’y remettre sérieusement (une résolution à laquelle je pourrais me tenir s’entend parce que j’avais aussi décidé que cette année, ça y est, c’est sûr, j’allais m’attaquer à la faim dans le monde et puis en fait non).

Si je devais répondre à la question « quel est ton écrivain contemporain préféré? », je répondrais sans hésiter Jonathan Coe. Écrivain britannique né à Birmingham au début des années 60, il incarne un prolongement de mes obsessions anglophiles, soit un type qui pose sur son pays un regard à la fois tendre et acéré, tout ce que j’aime. Un peu à l’instar de Ray Davies, il traduit à son égard un sentiment que j’ai décidé, bim, ça m’est venu comme ça, de nommer « affersion » : un mélange d’affection et d’aversion, pour l’Angleterre et ses traditions, son goût de l’immobilisme, son conservatisme etc. Pour l’Angleterre quoi.
Un de ses romans récents, La vie très privée de Mr. Sim (pas son meilleur mais plaisant), a été joliment adapté par Michel Leclerc avec Jean-Pierre Bacri dans le rôle titre. Pour finir de situer.

Expo 58 est sans doute un roman relativement mineur lui aussi dans une oeuvre qui compte (si tu veux lire du Coe, il te faut Testament à l’anglaise ainsi que le diptyque Bienvenue au club / Le cercle fermé, sans hésitation là non plus). Mais quand on commence à maîtriser un peu un auteur, ou en tout cas qu’on a lu un bon paquet de ses ouvrages, on prend souvent beaucoup de plaisir dans des œuvres plus anecdotiques, dans lesquelles on va s’amuser à chercher sa patte, ses tics, son essence.

Il n’est pas bien difficile pour un amateur de l’oeuvre de Jonathan Coe de s’y retrouver dans Expo 58 : un héros tiède, voire morne, tendance indifférent à la vie, des hasards, des coïncidences, un humour pince-sans-rire, l’affersion, donc, pour cette Angleterre des années 50 qui sent bien qu’elle doit se tourner vers cette seconde moitié du XXème siècle aux immenses promesses de progrès et d’innovation, mais ne peut se résoudre à laisser derrière elle les piliers de sa grandeur passée. Le tout enrobé dans un pastiche de roman d’espionnage (tendance Ian Fleming, l’auteur de James Bond) avec un soupçon d’hommage à Hergé, Belgique oblige (l’action se déroule pendant, et sur le lieu de l’Exposition Universelle de 1958 qui s’est tenue à Bruxelles). Tout ça dans une langue comme toujours simple en apparence, précise, élégante. En gros, je me suis régalé, et si les 3 ouvrages cités au-dessus (Testament à l’anglaise / Bienvenue au clubLe cercle fermé) sont probablement les chefs d’oeuvre de Jonathan Coe, Expo 58 fait une belle porte d’entrée, plus « légère » et donc plus aisée.

Mais il faut par ailleurs savoir que Jonathan Coe n’a pas non plus son pareil pour tisser des récits dramatiques au sens propre, à la tristesse insondable, dont La pluie avant qu’elle tombe serait le chef d’oeuvre. Ainsi, les dernières pages d’Expo 58 font opérer au récit un virage à 180°: le hasard devient destin, les coïncidences se font tragiques. Le temps qui passe, aussi lentement qu’inexorablement, l’indécision, l’indifférence, les occasions manquées… C’est déchirant. Peut-être pas si « mineur » que ça finalement…

Le dernier roman de Jonathan Coe, Numéro 11, a été publié en 2016. Je vais le lire dans les prochaines semaines, j’essaierai d’en toucher quelques mots.

So Foot n°150

Pour son numéro 150, So Foot a décidé de sortir un thématique dont il a le secret (après le spécial « n°10 » pour les 10 ans du magazine par exemple), en posant la même question à 150 joueurs, artistes, écrivains, personnalités diverses (la liste, non exhaustive, est sur la couve ci-dessus): « pourquoi aimez-vous le football? » Quelques surprises parmi les témoignages: qui aurait cru que Tonie Marshall ou Anna Karina (Anna Karina!) se retrouveraient un jour, et de manière tout à fait légitime, dans So Foot ?

Les réponses vont de la punchline à la réflexion plus ou moins élaborée/étendue en passant par la mini-interview ou la tribune libre (pour Katerine ou François Bégaudeau par exemple).
On réalise assez vite qu’on pourrait les classer en 3-4  grandes catégories:

Il y a les un-peu-bateau-mais-en-même-temps-c-est-vrai qui expliquent que le foot c’est un condensé d’émotions multiples, un raccourci de la vie en 90 minutes, blablabla. On connait bien cet argument: « aucune oeuvre de fiction n’est capable de recréer le scenario ou l’ascenseur émotionnel du match de foot le plus dingue! » dixit n’importe quel réalisateur/écrivain un peu concon type Lelouch ou Besson. A la fois, c’est pas faux.

Il y a ceux, touchants, qui expliquent qu’ils aiment le foot parce que ça leur a sauvé la vie ou offert une existence, ni plus ni moins.

Il y a les consensuels comme Platoche (« le foot c’est un jeu simple où les hommes sont égaux » blablabla).

Et il y a les réponses qui paraissent simplistes mais tapent dans le mille: « Pour continuer à aimer le football, il suffit de le regarder » (Clarence Seedorf) ou « Ce que j’aime dans le foot, c’est le foot justement » (Raul).
J’aime particulièrement ces 2 là, pas seulement parce que l’une d’elles est prononcée par un de mes joueurs préférés de tout l’étang mais parce qu’elles sont chaque jour plus juste: ce qui nous lave des affaires, de la corruption, des sponsors omniprésents, du marketing roi, des sommes délirantes, des enjeux-qui-tuent-le-jeu, c’est précisément le jeu. C’est d’ailleurs peu ou prou ce que dit l’édito.

En un mot, ce numéro se lit tout seul.
Et surtout, lire ce numéro, c’est en arriver, inévitablement, à se poser la même question: mais bordel, pourquoi j’aime autant le foot finalement ?

Une question à laquelle nombre de personnalités interrogées se disent incapables de répondre tant ça remonte à loin et la passion est désormais ancrée en eux.
Ca remonte tellement loin dit Guy Roux (et je sais plus qui, Menotti peut-être? Tu vérifieras) que si on aime le foot, c’est parce que le ballon, une sphère, renvoie au soleil, à la lune, à la Terre, au 1er habitat de l’être humain, le ventre de la mère et que notre 1er geste, dans ce ventre justement, fut de donner des coups de pied.

C’est peut-être un peu con, ou très, je sais pas, mais j’aime bien. Cette « explication » renvoie de manière plus générale à l’enfance, un thème souvent évoqué et que j’aurais tendance moi aussi à convoquer tant je suis intimement persuadé que c’est là que ça se joue. Quand j’ai découvert le foot et que je me suis mis à sérieusement m’y intéresser et à y jouer, tout d’un coup il n’y avait plus que ça et rien d’autre. Continuer à aimer le foot, près de 40 ans après, c’est évidemment un moyen de se reconnecter à cet état d’esprit là, fait d’abandon total et d’émotions pures et brutes qu’on a probablement du mal à trouver par ailleurs. Tu vas me répondre qu’il y a l’amour, évidemment… Mais c’est précisément de ça dont on est en train de parler non?

Alors pourquoi on aime le foot, oui, c’est une bonne question et c’est pas évident d’y répondre… C’es d’autant moins évident selon moi que lorsqu’on aime passionnément le foot, on finit tôt ou tard par devenir supporter. Dès lors, on aime passionnément son équipe et on peut être amené à perdre de vue ce qui est à l’origine de tout le bordel. Déjà que c’est pas toujours évident de savoir pourquoi on est devenu supporter de telle équipe plutôt que de telle autre…

Et toi alors, pourquoi t’aimes le foot ?

Rencontre avec Riad Sattouf

La rencontre-dédicace avec le public toulousain avait lieu dans l’excellent librairie Ombres blanches.
Alors que la modératrice  s’apprête à véritablement lancer la discussion après une présentation d’usage, Riad Sattouf l’interrompt: « Ah y a une question là devant… Oui, monsieur? »

Un type un peu âgé prend la parole:

– Alors moi je voyage un peu partout dans le monde et comme vous, l’un de mes premiers souvenirs de bd, c’est la lecture de Tintin quand j’étais enfant. Et une des choses que je fais tout le temps, comme je voyage dans tous les pays, c’est que je ramène à mes enfants un exemplaire traduit dans la langue du pays dans lequel je suis allé. Comme j’ai fait le tour du monde voyez-vous, j’ai pu accumuler tous les exemplaires traduits. Et donc je voulais savoir si LArabe du futur était également traduit dans d’autres langues.

Sattouf répond poliment que oui, les 3 premiers tomes ont été traduits dans 18 pays. « Poliment » car en réalité, la modératrice nous avait donné l’information 3 minutes avant lors de sa présentation de l’auteur. Il explique ensuite que c’est une petite fierté pour lui que de faire figurer en page de garde la liste des pays/traductions de son ouvrage, tout comme le faisait Hergé.

– Mais je pourrai donc ramener un exemplaire dans chaque langue? relance le type
– Oui c’est ça, ils sont traduits.
– Et ils sont traduits dans quelle langue?
– Ah ben ça vous le verrez par vous-mêmes dans la bd…
– Ah très bien, je vais regarder ça.

« D’accord, faisons comme ça. »

Ca démarrait donc assez fort.

Trêve de raillerie(s), c’était super. Je tiens Riad Sattouf pour l’un des esprits les plus drôles, brillants et sensibles de sa génération, et il s’avère qu’ « à l’oral », il est égal à ce qu’il transmet dans ses œuvres : intelligent, fin, drôle, accessible. Il est très à l’aise, répond avec précision et exhaustivité aux questions qui lui sont posées, se répand volontiers en anecdotes très drôles/touchantes.

Preuve qu’il a désormais franchi un palier et atteint une dimension de all star de la bande dessinée, la salle était pleine comme un œuf : quelques geeks, quelques quadragénaires dans mon genre (lequel? à toi de voir), beaucoup de personnes relativement âgées qui l’ont manifestement connu grâce à L’Arabe du futur.

Le tome 3 est sorti il y a déjà plusieurs mois (le tome 4 est prévu pour Novembre), cette rencontre avait lieu à l’occasion du 2ème tome des Cahiers d’Esther, son recueil de planches réalisées chaque semaine pour L’Obs

Il a donc expliqué comment il procédait, comment « Esther » (ça n’est évidemment pas son vrai prénom) accueillait sa captation et son interprétation des histoires qu’elle lui raconte (spoiler : elle s’en fout) etc etc.

Super moment. En revanche, et à mon grand regret, son retour au cinéma n’a pas vraiment l’air d’actualité : il a été plus qu’échaudé par l’insuccès du pourtant génial Jacky au royaume des filles.

Cantona, le rebelle qui voulut être roi – critique

Je sais pas ce que j’ai en ce moment, je ne lis QUE des bouquins de foot.

J’avoue, j’ai souvent pas une grosse disponibilité intellectuelle en fin de journée donc ça fait très bien l’affaire évidemment mais y a pas que ça : je me suis rendu compte qu’il y avait une vraie littérature du foot, avec des ouvrages vraiment intéressants et stimulants, écrits par de vrais auteurs (i.e. pas des journalistes sportifs un peu « limités » pour parler cruellement).

Cantona, le rebelle qui voulut être roi entre ô combien dans cette catégorie. Il est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’une biographie et que les biographies de sportifs en général, et de footballeurs en particulier, sont d’un conformisme et d’une platitude désespérantes.

Cantona, le rebelle qui voulut être roi

Un mot sur l’auteur tout d’abord : Philippe Auclair est aujourd’hui bien connu des amateurs de foot en tant que correspondant Premier League pour France Football et RMC Info.
Mais pour quelques personnes dont je fais partie, Philippe Auclair est et sera toujours Louis Philippe, songwriter dandy et délicat, membre régulier de l’écurie Tricatel et auteur de quelques albums remarquables (notamment Delta Kiss).
Même si sa carrière musicale a été mise entre parenthèses au profit de sa carrière de journaliste, elle est évidemment d’une grande importance puisqu’il apporte la même délicatesse, sensibilité et intelligence à ses analyses qu’à ses compositions.

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Autre détail d’importance : Philippe Auclair vit en Angleterre depuis près de 30 ans (il me semble). Son ouvrage a donc été rédigé en anglais, pour le public britannique et il fait preuve de la rigueur et de la sobriété dont les journalistes anglo-saxons sont coutumiers : il digresse peu, ne se regarde pas écrire, a effectué un travail de fourmi (pour revoir les matches, éplucher la presse), apporte une grande importance à la vérification des faits. Pas de rumeurs ici, pas de ragots, de détails croustillants (même si 2 gros « scoops », j’y reviendrai), tout a été vérifié, revérifié, confirmé par les principaux acteurs et témoins. Un travail et une rigueur d’autant plus remarquables que si les exploits de Cantona sont encore relativement frais dans la mémoire de pas mal de personnes, ils appartiennent à une époque pré-Youtube et pré-Internet en général qui rend ce travail de recherche, consultation, vérification véritablement fastidieux. On ne juge pas la qualité d’un ouvrage à la seule quantité d’heures que son auteur a passé dessus mais quand cette quantité atteint de telles proportions, c’est à souligner je pense.

Il s’attache ainsi uniquement à la carrière de footballeur de Cantona, laissant de côté sa vie privée (même si elle est évidemment parfois évoquée puisqu’elle éclaire ou explique aussi certains choix de carrière). C’est par exemple l’occasion de revenir sur des épisodes qu’on connait finalement peu puisqu’à l’époque, il fallait donc se contenter de quelques images 1 ou 2 fois par semaine dans Téléfoot et/ou l’Equipe du Dimanche. Son passage à Bordeaux par exemple, je l’avais complètement zappé. Ou son départ houleux de Leeds pour Manchester United. Auclair s’attache également à décrire avec beaucoup de précision quelques prestations voire des actions bien précises : encore une fois, difficile de trouver toutes les images, il fait donc autant appel à sa mémoire qu’à un véritable travail de fourmi pour retrouver les archives de l’époque.

Et 2 scoops donc, ou en tout cas, 2 épisodes clés de la carrière de Canto, auxquels il apporte un éclairage nouveau.

Tout d’abord sa non-sélection pour l’Euro 1996.
Cet épisode est hyper important car il marque sa rupture définitive et irrévocable avec une équipe de France à laquelle il a été jusque là d’une loyauté sans failles (coucou Henri Michel), au moment où celle-ci s’apprête à vivre ses plus belles heures en compagnie d’une nouvelle génération (celle qui remportera la coupe du monde 2 ans plus tard). Il est acquis pour tout le monde que c’est Aimé Jacquet, saint Aimé priez pour nous, qui, sévère mais juste, inflexible, a décidé de se passer de Cantona (et Ginola), alors au meilleur de sa (leur) forme, pour laisser la place au duo émergeant ZidaneDjorkaeff. Or la vérité est sensiblement différente : en février (1996 donc, quelques moins avant l’Euro qui se tiendra en Angleterre), Jacquet se rend à Manchester pour tenter de convaincre Cantona de revenir en équipe de France. Et celui-ci refuse. Auclair raconte que ni lui ni Jacquet ne reviendront jamais sur cet épisode qui fait un peu figure de trou noir : Cantona a refusé de manière instinctive, sans donner d’explications et Jacquet, qui accuse le coup sur le moment, n’est pas allé plus avant et n’évoquera plus jamais ce moment lui non plus. C’est Henri Emile, intendant historique de l’EDF, et figure bien connue des amateurs de football, présent lui aussi ce jour-là, qui raconte cet épisode hyper cantonesque, qui ajoute à la mythologie du personnage.

Second épisode donc, lié à son high kick sur un spectateur de Crystal Palace. Là aussi, j’avais un peu oublié la gravité de la situation puisque s’il a évidemment écopé d’une lourde sanction sportive, Cantona aurait également pu subir une (très) lourde sanction juridique (le spectateur en question avait porté plainte).
La veille du verdict de la cour à Londres, Guy Roux, qui était resté proche de Cantona et de sa famille, reçoit un coup de fil de la mère du joueur, très inquiète. « Et vous vous rendez compte, c’est très grave, il s’en remettra jamais, c’est peut-être la fin de sa carrière » etc etc. Guy Roux est évidemment sensible à sa détresse et se souvient alors d’un contact à l’Elysée (une des proches collaboratrices de Mitterand), avec qui il avait sympathisé et qui lui avait promis lors d’une réception quelconque de lui filer un coup de main en cas de coup dur. Il passe donc un coup de fil à ce contact, bien conscient que la personne en question a sans doute d’autres chats à fouetter mais arguant du fait que les relations franco-britanniques pâtiraient d’un verdict trop sévère blablabla.
Lendemain, verdict donc, Canto échappe au pire… Guy Roux le raconte lui-même très honnêtement à Philippe Auclair : il ne dit pas que c’est son coup de fil qui a « sauvé » Cantona car il n’a jamais eu la preuve que l’Elysée avait joué un rôle dans cette histoire, autrement dit et pour dire les choses, que Mitterand avait appelé la reine d’Angleterre, John Major (alors Premier Ministre) ou James Bond… mais il n’a jamais eu la preuve qu’il n’avait joué aucun rôle non plus !
Troublant donc, et là aussi, une preuve supplémentaire que Cantona était un joueur à part, bigger than football pourrait-on dire.

Super bouquin en tout cas, et super lecture, vivement conseillée aux amateurs de football, qu’il apprécient le joueur ou non.

Ce pays qui n’aime pas le foot – Joachim Barbier – critique

Suite de mes lectures footballistiques avec un billet sur cet ouvrage également signé par une plume régulière de So Foot, Joachim Barbier.

Dans Ce pays qui n’aime pas le foot, il réagit principalement à l’énorme polémique, quasiment l’affaire d’Etat, autour de l’Equipe de France lors de la coupe du Monde 2010. Polémique qui faisait elle-même suite à d’autres débats débiles autour du but entaché d’une main de Thierry Henry lors du match de qualification pour cette même coupe du monde, autour de la banderole anti-Chtis des supporters du PSG lors de la finale de la coup de France, autour de la Marseillaise sifflée au stade de France etc.

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Selon Joachim Barbier, ces « événements » qui n’en sont pas et qui auraient dû en tout cas être circonscrits à la seule sphère du football, ont constitué un prétexte en or pour les polémistes et éditorialistes à 2 balles, désireux d’illustrer le désormais proverbial « malaise de la société française » dont les footballeurs seraient les véritables furoncles, ou pour le moins des racailles, des caïds de banlieue, des sauvages etc etc etc. Alors qu’ils n’illustrent en réalité qu’une seule chose : la France ne comprend rien au foot. Ou plutôt, la France manque gravement de culture foot. Je partage évidemment à 100% cette thèse, comme tout bon footeux intégriste qui se respecte.

Alors il enchaîne les arguments le bougre, et ils ne manquent pas. Selon lui par exemple, il ne peut y avoir de réelle compréhension de la chose footbalistique en France puisque l’engouement national est né de la victoire en coupe du monde en 1998. Evénement tardif déjà mais surtout, événement trompeur puisqu’il s’agit un acte fondateur euphorique et victorieux. Or : « L’âme d’un stade se forge moins dans l’habitude des victoires que dans le désarroi des défaites ou la honte des déroutes. Les deux bâtissent un équilibre des souvenirs, des sentiments, et un jugement. On peut appeler ça de la culture ». Amen. Et Barbier de déplorer les sifflets qui parfois tombent des tribunes alors qu’une équipe mène au score mais ne fournit pas le spectacle auquel le prix du billet donne supposément droit. A noter que l’ouvrage a été écrit avant la reprise en mains du PSG par les Qataris…

De la même manière, Barbier explique que « pratiqué sérieusement, le football n’a rien à voir avec le fair-play. Il est lié à la haine, à la jalousie, à la vantardise, à l’irrespect et au plaisir sadique d’être témoin de la violence : en d’autres termes, c’est la guerre sans les tirs. » Ca peut sembler évident mais ça va mieux en le disant.
Ainsi, et pour citer l’architecte Rudy Riccioti, « les gens qui ne voient pas l’humour qui existe dans le football sont des gens à qui il manque une case de lecture politique, il leur manque une clé de lecture du monde ». Hell yeah.

Sur la « rivalité » rugby/football, le rugby brandissant en étendard ses sacro-saintes « valeurs »: « Le rugby est resté un sport de protestant car il prétend incarner l’idée de justice, d’honnêteté, de vérité au cœur des règles qui l’encadrent, et représente quelque part une proposition de stage de développement personnel ». D’où l’indiscipline chronique des pays méridionaux (France, Argentine, Italie), catholiques eux. Pas mal ça aussi non?

Et du coup, c’est logique, dans un pays qui n’aime le foot que lorsque ses favoris l’emportent au cours de grandes compétitions, « la faiblesse des revenus de la Ligue 1, marketing, droits TV, n’est pas une cause de son sous-développement mais une conséquence ». En effet, si les droits TV anglais explosent, c’est parce que Manchester United ou Liverpool sont à la base hyper prestigieux et intéressants d’un point de vue marketing pour les investisseurs. Bien vu ça aussi.

Joachim Barbier étaye en permanence ses arguments et ses assertions d’exemples précis et toujours éloquents.
Le problème c’est que même s’il est toujours pertinent, voire occasionnellement brillant, son ouvrage est extrêmement mal construit. En réalité, il n’est pour ainsi dire pas construit, c’est à dire qu’il n’a pas d’épine dorsale, hors sa thèse initiale (« la France ne comprend rien au foot »), et encore moins de déroulé autour de cette thèse. J’ai cité, à dessein, des phrases et des exemples un peu à la volée mais c’est précisément ce qu’est ce livre : une succession sans véritable liens entre eux, d’arguments, exemples, idées, souvent brillants certes mais qui donnent au final le sentiment que le livre a été écrit un peu à la va-vite, pour créer un contre-feu à des polémiques effectivement aberrantes. Si j’étais prof et que je devais le noter, je demanderais « où est le plan? »

Mais je mettrais quand même une assez bonne note : parce que ce qu’il dit est souvent brillant donc et parce qu’il le dit bien. Ca manque simplement un peu de rigueur et de travail. Merde, je parle vraiment comme un prof.

Clasico – Thibaud Leplat – critique

Le titre complet est Clasico, Barcelone/Real Madrid, La guerre des mondes.
Deuxième ouvrage de Thibaud Leplat dans ma série « foutchebol à lire », et pas des moindres évidemment : il était sur mes tablettes depuis longtemps, en tant que supporter madrilène, je ne pouvais pas passer à côté.

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Clasico, c’est donc l’histoire de ce qui constitue, dixit l’auteur lui-même, « la plus grande rivalité sportive du XXème siècle ».

Leplat construit son ouvrage très rigoureusement : il démarre avec ce qui a inspiré son désir d’écrire la dessus j’imagine, ou qui a déclenché l’acte, à savoir le climax de cette rivalité qui s’est incarné à la fois à travers les figures des 2 principaux protagonistes, José Mourinho d’un côté, Pep Guardiola de l’autre, et à travers les 4 confrontations survenues en 2 semaines au mois d’avril 2011 (championnat, finale de la Coupe du Roi, demie-finale de la Ligue des Champions). Il commence par ça et termine son bouquin par un récit plus détaillé du passage de Mourinho à Madrid, ce qui lui permet ainsi de boucler la boucle.

Au miyeu, il déroule la chronologie des dates et événements fondateurs de cet antagonisme ultime. Leplat raconte tout avec brio, avec un maximum d’objectivité (j’y reviendrai), en s’évertuant constamment de contextualiser et de prendre en compte les spécificités de chacune des parties.

L’occasion de définitivement combattre certains préjugés qui ont la vie dure :
– le Real, suppôt du franquisme : en réalité, c’est seulement lorsque le Real a commencé à tout péter que Franco y a vu l’opportunité d’une vitrine pour l’Espagne et pour son régime, ce n’est pas lui qui a « fait » le club. Leplat rappelle ainsi qu’après la victoire de Franco et durant une bonne décennie, c’est le Barca qui domine outrageusement la Liga et que ça ne dérange nullement le gouvernement central, au contraire (ça fait office de « dérivatif » pour les catalans).
– De même sur le transfert d’Alfredo Di Stefano, première grande figure du madridismo, que Franco aurait soit disant favorisé: c’est en réalité l’incompétence des dirigeants barcelonais, leur incroyable amateurisme, qui a conduit la saeta blanca à Madrid, alors que son 1er choix était effectivement le Barca. Episode encore aujourd’hui peu connu et passionnant.
– Idem sur la coupe d’Europe, LA compétition qui a fait du Real ce qu’il est : la première édition se fait sur invitation et le FC Barcelone, le club numéro de l’époque je le rappelle (début des années 50), est invité. Mais il décline cette invitation (au profit de… la coupe des villes de foire!), laissant de fait la place au Real. On connait la suite, c’est en Europe que se forge la légende madrilène.
– Le transfert de Luis Figo : ça c’est un épisode dont bizarrement j’ignorais les détails, alors que je l’ai vécu. Je savais seulement que le portugais aurait voulu poursuivre à Barcelone et qu’il a choisi Madrid pour une simple histoire de sous-sous dans la po-poche. Gros coup de pute de Florentino Perez là, je comprends qu’ils l’aient eu mauvaise les culés, hihi.

Ces épisodes là, les détracteurs du Real s’en servent encore pour étayer leur ressentiment, voire leur haine. Les barcelonais en premier bien sûr, qui ont pu cristalliser à n’en plus pouvoir. Ca m’énerve un peu cette méconnaissance de l’Histoire et des faits mais c’est ce qui constitue en grande partie le socle de cette rivalité géniale donc bon.

Thibaud Leplat revient également sur la genèse du Barca moderne : au début des années 70, lorsque le régime de Franco commence à vaciller et à laisser un peu de mou, le sentiment nationaliste et la catalanité du club s’affirment de plus en plus. La bascule se fait définitivement avec l’arrivée de Johan Cruyff dont le fils naît à Barcelone : il le prénomera Jordi, alors que le gouvernement franquiste interdisait les prénoms catalans…

Au final, même si certains clichés sont battus en brèche, c’est bien 2 mondes en constante opposition que l’auteur nous présente.
Extrait:

« A Barcelone, l’équipe est une prolongation des préoccupations de la société. A Madrid, c’est une avant-garde aristocratique. Les premiers croient en l’égalité, en l’effort collectif et en la construction d’une identité commune. Les autres croient en l’universel et en l’évangélisation footballistique globale. Madrid croit au talent, Barcelone en la méthode. Di Stefano, Raul, Butragueño, Ronaldo; les grands joueurs ont forgé la légende du Real, pas les entraîneurs. »

Une « avant-garde aristocratique ». Grande remise fucking like this.
Une opposition de tous les instants qui évidemment, n’empêche aucunement les 2 clubs de se rejoindre sur les structures financières, notamment ces 10 dernières années, alors que leur antagonisme, leur popularité et leur puissance n’ont peut-être jamais été aussi forts. Avec néanmoins une différence essentielle là encore. Pour vendre, le Real n’a besoin que de la victoire, au contraire de son ennemi:

« La particularité […] du Barça est d’avoir élaboré un discours identitaire fort. Pour vendre, il faut être aimé. Pour être aimé, il faut gagner en faisant plaisir.[…] Mais pour être aimé, il faut aussi savoir donner [à l’UNICEF NDA]. Le Barça c’est un projet identitaire dans lequel il y a Cruyff, la Masia [le centre de formation du club NDA], la Catalogne et le compromis social. C’est beau. Pour info, le maillot à la boutique du club, c’est 104 euros. »

J’aime ce petit taquet gratuit en fin de démonstration.
Car oui, Leplat est un madridista. En conclusion de son ouvrage, il se livre à un long entretien avc Jorge Valdano. Certes, ce dernier est connu pour sa mesure, son intelligence, son recul, et il peut aisément clamer son admiration pour le grand rival mais il est et sera toujours 100% dévoué au Real.
Il remet ainsi les choses à leur place lui aussi : oui, le Barca fait jouer les jeunes issus de son centre de formation, et c’est exceptionnel à ce niveau mais le centre de formation qui « sort » le plus de joueurs professionnels, c’est la Fabrica, celui du Real et de loin (le double). Simplement, ceux ci n’ont que rarement accès à l’équipe première, ils sont obligés de s’exiler dans d’autres clubs (ces dernières années, le Real a ainsi « laissé filer » Juan Mata, Alvaro Negredo, Roberto Soldado ou encore Alvaro Morata, qui cartonne à la Juve).
Il met également un terme aux préjugés idéologiques qui voudraient que le Real soit un club de droite et le Barça un club de gauche :

« Le Barça a eu Vazquez Montalban [célèbre romancier, poète et essayiste pro-indépendantiste et supporter du club NDA]. Madrid n’a pas eu de figure intellectuelle comparable. Celui qui a besoin d’élaborer tout un discours, c’est celui qui perd, pas celui qui gagne [et bim NDA]. Le Real Madrid gagnait sans avoir à fournir d’explications, sans trouver d’excuse pour créer un facteur identitaire. L’identité du Real, c’était le triomphe. Point. »

Barre, à la ligne.

En conclusion, ce qu’expliquent à merveille Jorge Valdano, Thibaud Leplat et son ouvrage Clasico, c’est que le Barça a toujours été dans la réactivité et a dû opposer une construction idéologique à la construction sportive de son rival.

Super bouquin, super lecture, que je conseille à tous les amateurs de foot, voire de sport, compte tenu de la place que les 2 clubs ont prise ces dernières années à tous les niveaux.

Le Cas Mourinho – Thibaud Leplat – critique

Là on franchit un palier par rapport aux bouquins dont j’ai parlé précédemment : Thibaud Leplat, c’est autre chose que le « footballeur masqué », qui qu’il soit, que Denis Chaumier, que Damien Degorre : j’ai rien contre ces derniers mais bon, disons qu’ils appartiennent à une catégorie de journalistes sportifs « traditionnels » un peu ringardisée par les gars de So Foot, dont Leplat fait partie.

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Une petite présentation de l’auteur donc : diplômé de philosophie, Thibaud Leplat est selon moi le meilleur journaliste foot actuel, avec Markus Kaufman. Ce dernier s’est spécialisé dans l’analyse tactique: il est très intelligent, analyse le jeu avec beaucoup de pertinence, écrit avec beaucoup de fluidité.
Leplat s’attache davantage à l’humain : érudit et littéraire, il a une approche plus intellectuelle du foot. Intellectuelle et littéraire là encore, presque poétique parfois. Mais attention : s’il cite Sfefan Zweig ou que son ouvrage prend pour modèle ou tout du moins point de départ Le cas Wagner de Nietzsche, jamais il ne verse dans la pédanterie, l’abus de citations/références, la sur-interprétation cosmique (coucou Chérif Ghemmour). Son style est simple, évident, à l’image de ses analyses, toujours uniques et accessibles à la fois. Je le trouve extrêmement brillant lui aussi. Les 2, Leplat et Kaufman, sont complémentaires, on ne fait guère mieux à l’heure actuelle sur la « planète football » comme on dit.

Dans Le cas Mourinho, il s’attache à suivre le parcours de l’entraîneur en s’appuyant sur les témoignages de quelques personnages clé, sur les nombreux ouvrages/interviews/déclarations déjà disponibles, et sur sa propre expérience personnelle :  il est correspondant à Madrid pour divers media (dont So Foot, donc) et a par conséquent pu approcher la bête lors de ses conférences de presse. Il précise en revanche d’emblée qu’il n’a jamais pu s’entretenir directement avec lui, ce qui place d’emblée sa biographie un peu à part puisqu’on pourrait par conséquent dire qu’elle n’en est pas vraiment une. Biographie.
Il aborde en effet le cas Mou sous un angle différent et un peu inattendu : non plus seulement, et comme on le fait le plus souvent, comme un meneur d’hommes hors du commun ou un tacticien de génie (ce qu’il n’est de toutes façons certainement pas, au sens où ne peut certainement pas le mettre au même niveau qu’un Guardiola, un Sacchi, un Bielsa). Il le dévoile en revanche en universitaire (il est LA le secret), bosseur, rat de bibliothèque, qui a révolutionné son métier en appliquant sa science des sciences humaines à une discipline qui jusque là n’abordait cet aspect que de manière relativement primaire. Un type qui n’avait pas de jambes mais des yeux hors du commun, et une capacité d’analyse et de synthèse hors normes : il a démarré en tant qu’observateur pour Bobby Robson, le légendaire coach anglais. Un type, en réalité, qui a diversifié son savoir, faisant pleinement sienne la maxime de l’un de ses mentors, Manuel Sergio : «Celui qui ne s’intéresse qu’au football, n’a rien compris au football».

Leplat adopte ensuite un schéma plus chronologique et passe en revue les divers faits d’armes de José.
Sur les pages consacrées au passage à Porto, qui ont fait de Mourinho l’entraîneur d’exception d’avant le personnage un peu grand-guignolesque qu’on connaît depuis son passage au Real, Leplat est vraiment génial. Il parvient, comme son sujet, à englober sa discipline sous un angle à la fois tactique, émotionnel, intellectuel, véritablement stimulant. Il y aborde les concepts de mouvement intentionnel, de planification anthropologique (lis le bouquin si tu veux en savoir plus), d’inséparabilité de la raison et des émotions (via l’ouvrage du neuroscientifique Antonio Damasio L’Erreur de Descartes: la raison des émotions). Il y explique les méthodes d’entraînement de Mourinho, le concept de « périodisation tactique » (là encore, c’est très bien et très simplement expliqué dans le bouquin). Il évoque, comme s’il parlait de quelque grimoire de magie noire, la « Bible », rédigée par le coach pendant sa retraite avant d’entraîner Porto, et qui contiendrait 600 exercices d’entrainements spécifiques. C’est passionnant.

Il revient aussi, bien sûr, sur quelques matches clés de la carrière du Mou, fait, de manière remarquable, le lien qui lit historiquement le Portugal à l’Angleterre, expliquant comment cette dernière ne pouvait être que LA destination suprême pour Mourinho.
Il évoque ensuite son passage à l’Inter Milan, son chef d’oeuvre selon lui (remettre au sommet de l’Europe une équipe qui puait la loose et composée de joueurs finalement assez moyens), initié par un chef d’œuvre de conférence de presse durant lequel José met tout le monde dans sa poche par le truchement de la simple et nonchalante utilisation d’un terme de dialecte milanais.

Puis, bien sûr, le passage à Madrid. Passage voué à l’échec dès le départ, par la simple nature, le caractère essentiel des deux parties : Le Real est un club qui place la présidence et les joueurs au dessus de tout, jamais l’entraîneur. Par conséquent, le besoin de suprématie, de reconnaissance, l’ego mais aussi l’irrévérence, l’iconoclasme dont Mourinho fait preuve au quotidien dans sa pratique, ne pouvaient pas s’accorder avec la valeur essentielle du club et se fondre dans une institution qui place ses valeurs au dessus de tout et de tout le monde.
Il évoque aussi bien sûr LE point de non retour ie le déboulonnage en règle du saint du madridisme, de toute l’Espagne, San Iker Casillas, suite aux incidents DU match où tout bascule (et qu’il évoque plus en détail dans un autre bouquin sur lequel je m’attarderai très prochainement) : le match retour de Supercoupe d’Espagne au cours du quel Mourinho fourre son doigt dans l’oeil de l’adjoint de Pep Guardiola, Tito Vilanova (« fourre son doigt dans l’oeil » au sens propre hein pour ceux qui n’auraient pas eu connaissance de cet incident). Leplat analyse et raconte tout cela à la perfection car comme il l’écrit lui-même, son héros (le héros de son bouquin), est dans son club à lui. C’est évidemment aussi pour ça que je l’apprécie autant, on va pas se mentir : Leplat est un madridista, un vrai, qui connait le club, l’institution, son histoire et son essence mieux que personne.
Extrait:

Le Real est la parfaite allégorie de ce complexe de supériorité (des madrilènes, NDA). Ici, on est fier et on répète toujours que le Real « est le plus grand club du XXème siècle », comme la FIFA l’a un jour décidé, comme si les temps allaient bientôt terminer et qu’il était urgent de dresser un bilan avant liquidation. Les autres existent mais ne comptent pas vraiment. Jorge Valdano me l’avait expliqué un jour: « Le Real Madrid a toujours eu besoin du triomphe pour renforcer sa légende. Il l’a d’ailleurs converti en sa principale valeur. » J’aime le Real pour cette idée complètement folle de vouloir toujours gagner, toujours être en haut, dépasser tout le reste, bref, d’être le centre de l’univers. Madrid n’a plus d’industrie, n’a pas d’autre beauté que la ferronnerie, et c’est la seule grande ville ibérique étrangère à la mer. Madrid était une anomalie sur la carte. Elle est devenue le nombril de la Péninsule. Le Real est sa couronne.

Bon, toujours est-il qu’à ce moment-là, après les incidents du match retour de Supercoupe d’Espagne donc, Mourinho commence à comprendre, ou se persuade, que ses 3 préceptes essentiels (loyauté, intensité et subversion), ne trouvent plus d’écho dans son vestiaire. Casillas de son côté a compris que son entraîneur et son obsession barcelonaise étaient allé beaucoup trop loin. C’est ce moment, devenu quasiment mythique depuis pour les espagnols, où il prend son téléphone pour appeler Puyol et Xavi afin de s’excuser du comportement des joueurs madrilènes et de leur entraîneur, « sauvant » par là même l’unité de la sélection nationale. Mourinho ne lui pardonnera jamais cet acte de rébellion.

Ces pages là sont passionnantes et finissent de donner un vernis à la fois épique et meta-physique à la carrière pourtant loin d’être finie et effectivement déjà très riche, de Mourinho.
Disons, pour synthétiser et conclure, que Le cas Mourinho, c’est la rencontre idéale entre un personnage passionnant et une plume et un esprit remarquables.
Lecture vivement conseillée donc.

Je suis le footballeur masqué – critique

LE bouquin évènement, celui qui balance, qui dénonce, qui fait tout péter, qu’au jour d’aujourd’hui on s’arrache dans le milieu footballistico-footballistique des professionnels de la profession.

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Si les révélations ne sont finalement pas si fracassantes, c’est le style qui détonne et qui fait de ce livre un objet effectivement très intéressant.
Qui suit un minimum le foot sait bien en effet que les principaux acteurs, les joueurs, sont de plus en plus obnubilés par l’argent, leur apparence, le sexe, un mode de vie un peu gangsta comme le résume lui-même l’auteur. Alors bien sûr on retrouve tout cela: les soirées quasi orgiaques à Paris (les « provinciaux », joueurs des clubs hors PSG attendent impatiemment le match au Parc des Princes pour cette seule raison), les fringues et looks improbables, les concours de la plus grosse bite voiture dans le vestiaire. Mais aussi le jeu qui prime, malgré tout, et remet les choses et surtout les joueurs à leur place, les primes justement, et les salaires de ces mêmes joueurs (objets de discussions et tensions incessantes dans le vestiaire), les magouilles ridicules de certains agents pour faire monter la côte de leurs protégés pendant le mercato, les entraîneurs compétents, Luis Fernandez les incompétents, ceux qui savent se fondre dans  un groupe pour mieux le mener, ceux qui se placent en dehors du groupe et donc échouent (il cite Laurent Fournier ou encore Paul Le Guen) etc etc.
Extrait:
(sur le professionnalisme)

Il n’y a qu’en France où ça ne se passe pas comme ça (NDA ie les joueurs n’arrivent jamais en retard aux entraînements). En France on n’a pas inculqué ça aux joueurs. C’est ton boulot d’arriver à l’heure. J’ai connu un coach qui avait instauré un truc. Il y avait un papier et tu pointais. Dès que tu arrivais, tu signais le papier. Et à 9h30 tapantes, il sortait et retirait le papier. Celui qui n’avait pas signé était en retard. C’était pour inculquer le respect. Dans cette équipe, il y avait quand même des joueurs d’expérience. Et le vrai pro, il se pointe pas à 9h25 pour dire qu’il est à l’heure. Il arrive à 9h. Et il bosse déjà, ou il fait des soins.

Combien de mecs j’ai vus ne pas faire ces efforts-là… Le plus fou, c’est quand tu vois les gars arriver à l’arrache à 9h29. Bon d’accord, ils sont à l’heure mais t’as envie de leur dire: « Tu ne veux pas arriver une fois un quart d’heure ou vingt minutes plus tôt? Tu fais quoi? Tu attends 9h20 pour partir de chez toi? » Pense à tous ceux qui sont au boulot depuis 8h. Toi, c’est 9h30. Ca va mec, tu as eu le temps de dormir, non?

Ce qui tranche donc, c’est la façon dont le footballeur masqué parle de son quotidien et de son univers : de manière assez crue, pour faire court. Phrases courtes, directes, proximité, familiarité même, le style détonne clairement. Comme il le dit lui-même, il a l’impression de lire des contes de Noël lorsqu’il lit des biographies de sportifs : il a pour objectif de rompre avec ce qu’il considère comme une farce. Et il y parvient sans mal.

« Il ». Mais qui, ‘il »?
C’est évidemment là l’autre intérêt de ce bouquin : la recherche de l’identité de ce footballeur masqué, joueur encore en activité ou très récemment retraité. Même s’il a démenti et qu’il continuera certainement de le faire jusqu’à ce qu’il considère lui-même qu’il y a prescription, ma conviction est qu’il s’agit, comme il a régulièrement été suggéré, d’Edouard Cissé.

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Footballeur modeste mais solide qui n’a jamais réellement brillé mais encore moins déçu, mec plus malin, cultivé et stylé que la moyenne de ses congénères, footballeur « So Foot » éminemment sympathique donc (au même titre, chacun dans un style différent, qu’un Ludovic Obraniak, un Tony Vairelles, un Vikash Dhorasoo ou un Rodéric Filippi pour donner un des derniers exemples en date), il est en effet celui qui, comme son doppleganger littéraire, est passé aussi bien par l’Angleterre que par le PSG des années chaotiques (pré-QSG) ou le Marseille des années Deschamps (qu’il encense d’ailleurs).
Il essaie bien de brouiller les pistes en évoquant des expériences qui ne figurent pas dans son CV (en Russie par exemple) ou en parlant, et balançant même gentiment sur… Edouard Cissé (qu’il traite  de bon élève un peu fayot), il relate très probablement des anecdotes racontées par d’autres footballeurs (Jérôme Rothen est à plusieurs reprises expressément cité mais on peut également penser à Vikash Dhorasoo, encore lui) mais je ne vois pas comment il pourrait ne pas s’agir de lui, trop d’éléments concordent.

Mais finalement, peu importe : ce petit jeu de pistes est sans doute inévitable mais Je suis le footballeur masqué constitue un récit suffisamment alerte et fort en anecdotes croustillantes, doté d’un recul et d’un point de vue suffisamment forts, pour que l’enquête que tout un chacun est tenté de mener se révèle au final accessoire.
Chouette lecture donc, que je conseille : ça se lit tout seul, et très vite.

Foutchebol à lire

Malgré ma passion pour le foot, ce n’est que très récemment que je me suis mis à lire des ouvrages qui lui sont consacrés. Voici quelques notes sur quelques uns d’entre eux, pas les plus intéressants. D’autres suivront assez rapidement, sur des bouquins plus stimulants.

Michel Platini – Parlons Football – entretiens avec Gérard Ernault

Emprunté, je te le jure, juste avant que ça chie dans la colle pour « oui Michel! oui Michel! ». Mais c’est marrant de l’avoir lu précisément en plein (énième) scandale de la FIFA parce que ce bouquin n’est pas du tout l’occasion pour Michou d’évoquer sa carrière. Ou presque pas. Il s’agit plutôt de broder autour de ce que représente pour lui le football, le jeu de football au sens théorique s’entend, ses règles, les questions de l’arbitrage, de la video, du fair-play financier, des instances internationales etc. C’est ni plus ni moins qu’un programme de campagne donc. Oups.

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Extrait:

– Et dans cette ostentation, ce tralala, cet argent, cette indécence à la louche, croyez-vous qu’il peut vivre! C’en est au point que croisant le carnaval du football – sauf celui d’un été brésilien -, de plus en plus de passants cherchent à changer de trottoir.
-Le coup du mépris, je veux bien que vous me le fassiez pour le compte de la France des mauvais jours et des mauvais coucheurs. Mais ailleurs, détrompez-vous, le football n’est pas tant regardé de travers. Même s’il ne se présente pas, en toutes circonstances, sous les allures d’un enfant du Bon Dieu.

Comment qu’il cause bien mon Michel… On croirait pas comme ça hein?
Bon, tu l’auras compris: c’est insupportable. 400 pages comme ça. Quatre. Cents. Putain. De pages. Gérard Ernault a sans doute été un excellent directeur de la rédaction de L’Equipe et de France Football, à une époque où ces 2 titres signifiaient encore quelque chose (il est par ailleurs un excellent géniteur puisque celui de Christophe Ernault aka Alister ak Mr Schnock) mais nom de Dieu, qu’est-ce qu’il écrit mal… Je veux bien qu’il cherche à échapper au conformisme et aux balises des interviews habituelles, qu’il essaie d’élever le débat et son interlocuteur par la même occasion, qu’il artificialise sciemment et exagérément leurs échanges mais c’est tout simplement insupportable. Et pourtant, Dieu sait si Mich-Mich peut-être passionnant en interview.

Tous les chemins mènent à Rome autobiographie, avec Denis Chaumier

Il s’agit donc de l’autobiographie de Rudi Garcia, actuel coach de la Roma. Chopée un peu par hasard, parce qu’elle était disponible à la médiathèque, parce que j’aime bien ce mec, franc et passionné, et que ça m’a fait plaisir qu’il soit nommé à la tête de l’un des clubs les plus classes du monde (top 5 des clubs les plus classes du monde: 1. Milan AC 2. AS Roma 3. Ajax Amsterdam 4 Liverpool FC 5. Girondins de Bordeaux; le Real est évidemment hors catégorie; le Barca inéligible dans ce top).

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Comme son titre l’indique, le bouquin s’attache plus particulièrement à relater comment Rudi Garcia, joueur moyen (mais néanmoins professionnel en 1ère division, à Lille ou Caen notamment) dont la carrière a été stoppée net à 28 ans seulement en raison d’une blessure, a pu se retrouver, à sa propre surprise quand même, à la tête d’un des plus grands clubs de l’un des plus grands championnats du monde (l’AS Rome donc). Il a bossé le Rudi, il a la gnaque, il a de la qualité, c’est un bon entraînôr, il est là, tac tac, il propose, il est là, c’est un bon entraînôr.
Bon, tout ça pour dire que c’est pas désagréable à lire mais c’est pas non plus passionnant : le mec n’est ni un génie tactique à la Sacchi, ni un théoricien-intellectuel du football à la Valdano, ni un leader d’exception à la Mourinho ou Ferguson. Niveau palmarès, il a « seulement » fait le doublé coupe-championnat avec Lille. Il est encore très jeune dans le métier, la nécessité de ce bouquin n’apparaît pas des plus évidentes. Mais ça se lit gentiment.
Ah si, un truc quand même: il raconte qu’il s’est fait enfler par Bernard Tapie, qui lui a proposé d’être coach de l’OM lors de son retour sur la Canebière au début des années 2000, et puis finalement non, sans plus d’explications: Garcia apprend sur l’autoroute qui le mène à Marseille pour signer son contrat que ça ne se fera pas. Ah ben dis donc ça alors, se faire trimballer comme ça par un type comme Bernard Tapie, c’est quand même étonnant.

La bande à Deschamps – Damien Degorre et Raphaël Raymond

Ca c’est génial. Un bouquin, donc, sur une équipe qui n’a non seulement rien gagné mais dont les principaux faits d’armes se résument à une qualification à l’arrachée pour une coupe du monde et à un quart de finale au cours de cette même coupe du monde. Ouaaaaaaaaaaiiiiiiiis… « Naissance d’une équipe », ok, mais là c’est carrément un embryon. Et puis surtout ils auront pas l’air cons les mecs si l’EDF ne vas pas au minimum en demie-finale du prochain Euro…

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On se demande donc très vite non pas pourquoi j’ai emprunté cette bouse, parce que j’ai très honnêtement pas la réponse, mais comment l’idée d’un tel bouquin peut germer dans la tête de ses auteurs. Et on comprend très vite après s’être posé la question de quoi il s’agit, devant l’absence de point de vue, de style, de fond, d’infos croustillantes à défaut (bah oui, c’est pour ça qu’on lit des bouquins de foot non? Pour les secrets de vestiaire ou pour une analyse théorique et intellectuelle, l’un ou l’autre) : La bande à Deschamps est simplement un outil de propagande de la FFF, pour la FFF (Noël Le Graët y apparaît comme celui qui a remis de l’ordre dans la maison après la calamiteuse parenthèse Escalettes), pour son sélectionneur si humble et si fan de Michel Sardou ainsi que pour ces Bleus enfin aimables, enfin disciplinés, enfin polis, enfin sans casques sur les oreilles, enfin qui descendent du bus. A une sextape près, ça a failli marcher. Bon, je l’ai lu en diagonale en 2 soirées parce que faut quand même pas déconner.

Oh Brothers ! – critique

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Je suis déception.
Je suis frustration.
Je suis limite colère.

Je vais pas y aller par 4 chemins : Oh Brothers ! de Marc Cerisuelo et Claire Debru est nul. Sans intérêt en tout cas et j’en suis le premier surpris. Chouette éditeur, belle collection, auteurs compétents : j’étais certain d’y trouver mon compte d’autant que je cherchais un bon bouquin sur les Coen depuis un moment.

Qu’est-ce qui ne va pas alors ?

Première surprise : de langage cinématographique il n’est pratiquement jamais question. Dans un bouquin consacré à des cinéastes aussi formalistes que les Coen (voire « maniéristes » pour leurs détracteurs), c’est surprenant et un peu dommage mais soit, c’était en quelque sorte annoncé d’emblée.
Les auteurs prennent en effet pour postulat que les Coen sont de grands cinéastes américains populaires, au sens où leur oeuvre s’inscrit en référence aux grandes figures de la culture populaire américaine. Et qu’ils en sont par conséquent eux-mêmes parmi les plus dignes représentants actuels. OK, pourquoi pas. Sauf que le plus souvent, Cerisuelo et Debru se contentent de dénicher les références, souvent obscures et tordues certes, qui président à certaines scènes, personnages ou lieux dans chaque film. Ca contextualise, ça décrypte mais ça ne fait que citer et ça se rapproche du catalogue au final.

Peu, très peu d’idées fortes rejaillissent. Au détour d’un chapitre (le bouquin est construit suivant le principe d’un chapitre par film, dans l’ordre chronologique), les auteurs prennent soin de rejeter l’étiquette de « postmodernes » souvent accolée aux cinéastes, au profit de celle de « postclassiques ». Pourquoi pas là encore, ça semble même intéressant mais d’analyse ou d’explication à ce sujet, que dalle. Dans les pages consacrées à The Barber, ils relèvent le montage du film, très godardien, voire « renaisien », avec en sus les longs travellings avant à la Marienbad et puis… ils se mettent à raconter le film, tout simplement. Vraiment frustrant…

C’est bien ça le pire : on a trop souvent à faire à des pages qui s’apparentent à de la simple paraphrase. Le chapitre consacré à Burn After Reading est à ce titre proprement édifiant. Les auteurs expliquent purement et simplement ce que font les personnages, ce que tout un chacun a pu voir (le scénario et la psychologie des protagonistes n’est pourtant pas d’une profondeur folle…) :  ils racontent le film avec force détails, encore. Damned.

J’arrête là, je ne pourrais moi aussi que paraphraser ou citer le bouquin inutilement. Encore une fois, je suis très déçu. Je l’ai d’ailleurs déjà mis en vente.

Le point positif c’est qu’il m’aura fourni l’occasion de revoir et reconsidérer certains films que je n’avais pas visionnés depuis longtemps.
Leur tout premier, Sang pour sang, m’est ainsi apparu comme incroyablement mollasson et prétentieux alors que je l’ai longtemps tenu pour un modèle de film noir. De même, Arizona Junior, qui m’avait là aussi grandement impressionné quand je l’avais vu pour la 1ère fois, m’a paru souffrir d’un rythme quasiment arthritique (c’est fâcheux quand le qualificatif de « cartoonesque » lui est souvent appliqué).

Miller’s Crossing en revanche, toujours aussi magistral et surtout beaucoup plus drôle et moins guindé que l’impression que j’en avais gardé. Ladykillers mauvais mais pas autant que dans mon souvenir. Surtout, sa bo, pendant gospel à celle folk et country de O Brother, est absolument superbe. Burn After Reading très anecdotique mais également très plaisant (parfaitement conforme à ce que j’en avais pensé à sa sortie) : une récréation, une potacherie inconséquente certes mais rondement menée et c’est déjà beaucoup. The Barber : sublime, vraiment, un des sommets Coeniens pour la forme, les thèmes abordés, l’ambiance proposée, les références convoquées (l’univers du romancier James Cain auteur notamment du Facteur sonne toujours deux fois et Mildred Pierce).

La grosse surprise est venue du Grand saut, le seul Coen bros que je n’avais jamais vu. J’ai toujours pensé, suivant la ligne du parti, que c’était un énorme ratage : eh bien pas du tout, c’est une excellente comédie, parfaitement écrite et réalisée, très drôle et surtout (c’est là la vraie surprise), très touchante. Un bémol concernant l’interprétation des 2 acteurs principaux, notamment Jennifer Jason Leigh mais sinon c’est vraiment un super film, décrié à tort. C’est un des préférés des auteurs d’ O Brothers !  qui mettent un point d’honneur à le réhabiliter : ils y parviennent, je dois bien leur accorder celà. Mais c’est bien tout.

Donc, de façon générale, en définitive et très globalement
Oh Brothers ! de Marc Cerisuelo et Claire Debru : une lecture très dispensable pour ne pas dire plus
– Les films des frères Coen : à voir et à revoir sans aucunes réserves ou presque.