The Go! Team

Coup de projecteur, coup de cœur sur un groupe encore trop méconnu. En plus pile poil le jour où le groupe annonce un nouvel album pour 2015, comment c’est bien foutu quand même. Grande remise, le blog qui est trop sur le coup.

The Go! Team
The Go ! Team est un groupe anglais (de Brighton je crois) auteur de 3 albums très similaires sur la forme et de qualité quasiment égale. Il possède une identité sonore très forte, singulière et rapidement identifiable répondant à une philosophie fondamentalement « samples, collages et joyeux bordel ». Rock, hip hop, soul, génériques TV vintage (le premier truc auquel j’ai pensé quand j’ai entendu ce groupe c’est le générique de Hawaii, police d’Etat), J-pop, samples savants (même si pas tant que ça en fait, beaucoup de parties sont jouées live), tout se mélange dans des proportions variables selon les titres pour un résultat invariablement tubesque. Sans oublier, bien sûr, LA trouvaille du groupe, sa distinction la plus évidente, sa marque de fabrique pourrait-on dire : les double-dutch chants, autrement dit ces chants hyper pêchus d’écolières américaines sautant à la corde. Des chants de cours de récré en somme.

The Go ! Team, c’est l’euphorie absolue, la bande-son d’un sentiment d’invincibilité et d’exaltation total. Cette musique que tu entendais dans ta tête lorsque tu obtenais le cadeau que tu n’aurais jamais osé demander pour Noël ou pour ton anniversaire (genre une panoplie de cow-boy incluant notamment 2 flingues et un gilet à franges, je dis ça comme ça hein, c’est un exemple tout à fait au hasard pas du tout du tout basé sur une expérience personnelle), lorsque tu te baladais dans la rue avec tes potes, fiers comme des couillons parce que vous aviez réussi à choper une canette de bière à vous partager à 5 dans un coin ou encore que tu marquais un but de dingue devant les filles pendant une partie de foot à la récré (tu n’as compris que trop tard pour ta dignité que celles qui n’en avaient tout simplement rien à secouer se foutaient plutôt de ta gueule). La pochette de leur 2ème album, Proof of Youth (le titre, déjà) synthétise bien cet esprit fun, fier et casse-cou. Ose me dire qu’après avoir entendu n’importe lequel de leurs titres, tu n’es pas gonflé à bloc pour faire un saut à l’élastique / envoyer chier ton supérieur hiérarchique / verser le lait avant les céréales dans ton bol.

Rien que les titres, déjà : Ladyflash, The Power is on, Junior Kickstart, T.O.R.N.A.D.O., Ready to Go Steady, Titanic Vandalism, voilà qui n’engendre pas la mélancolie ! Même si elle est bien présente : The Go ! Team, c’est la bande-son de la pré-adolescence, de ce moment-clé où tu pressens que tu vas définitivement quitter le monde de l’enfance, que c’est formidablement excitant mais que ça te rend un peu triste en même temps. C’est très beau d’avoir réussi à capter et retranscrire ce moment si précieux je trouve, sur ce morceau par exemple.

Ween

Les années 80 ont été les années fric et fun. Je dis ça mais j’en sais rien au fond, je répète juste ce qu’on dit/lit partout : pour moi c’était plutôt les années Panini, chocolat Poulain et Croque Vacances.

Les années 90, celles de la génération X, d’un certain désenchantement ou au moins d’un recul ironique, du second degré. Les noughties comme on dit quand on veut se la donner, auront en un certain sens orchestré la rencontre de ses 2 philosophies en apparence contradictoires : on s’amuse, oui, mais en en ayant une conscience aiguë.

Côté musique, c’est la décennie ou l’on redécouvre et apprécie à nouveau des styles ou groupes longtemps honnis : Daft Punk s’inspire du Rondo Veneziano sur Discovery, Phoenix place un solo de sax dégoulinant sur son premier album, Beck donne dans le funk le plus putassier. Et ça marche. Mieux : on adore ça. Dans un incessant mouvement de balancier : « rhaaa c’est nul mais c’est trop bon… wow c’est génial (même si je sais que c’est naze)… ouais je sais que c’est pas cool d’aimer ça mais on s’éclate non ? ». Le post-modernisme quoi.

Les années passant, le phénomène s’est accentué : l’un des genres les moins nobles et en tout cas les plus méprisés par la critique et le Bon Goût, le rock californien de la fin des années 70 (ou soft rock ou rock FM) est devenu depuis quelques années l’ingrédient nec plus ultra de la pop la plus efficace, subtile et élégante : Phoenix, encore eux, Midlake, Destroyer ou encore Metronomy, carton critique et commercial de l’année 2011. Un artiste aussi confirmé et affirmé que Rufus Wainwright y a même puisé une inspiration nouvelle et un second souffle sur son excellent dernier album (Out of the Game). Et je parle même pas de la country…

Bonjour, on est Ween et on aime bien faire les couillons sur nos photos.

Ween n’a pas attendu l’an 2000 pour rendre à nouveau cool ce qui était uncool : les premiers enregistrements du groupe datent de la fin des années 80. A l’époque, et pendant longtemps, beaucoup se sont contentés de voir dans le groupe (les faux frangins Gene et Dean Ween aka Aaron Freeman et Mickey Melchiondo) des kamikazes de l’humour über-trash et scato, pastichant avec savoir-faire les styles les plus variés et si possible les plus ringards : muzak, rock progressif, country nashvillienne, funk commercial, rock FM californien, tout y passe, avec des paroles encore aujourd’hui hilarantes de subversion et de potacherie réellement punk. Je parle là d’un groupe qui intitulait ses chansons Des mouches sur ma bite ou encore Hey gros lard (trou du cul).

Attention: pas de gags ou de chansons sketches non, plutôt une atmosphère subversive et un gros penchant pour l’absurde. Comme si la magnifique débilité des Farrelly de Dumb and Dumber se teintait d’humour juif oblique et d’humour noir à la Desproges. C’est ce qui les distingue d’emblée et définitivement du novelty rock comme disent de manière un peu péjorative les anglo-saxons, à savoir du rock « comique ». Ween n’est pas Tenacious D quoi (même si c’est super Tenacious D, mais c’est pas le débat).

Sous couvert de grossièretés et de scatologie bon enfant, leur humour est véritablement dérangeant et inconfortable : on ne sait bien souvent pas sur quel pied danser, voire même si certaines paroles sont censées être drôles ou pas… Ween, des Randy Newman trash ? Pourquoi pas : ils partagent avec le génial binoclard le goût pour les histoires à la 1ère personne, entretenant ainsi la confusion entre ce qu’ils chantent et ce que leurs personnages chantent.

Stylistiquement, c’est un peu la même chose : on croit avoir à faire à un pastiche mais rien n’est moins sûr… Et inversement : on imagine la chanson « sérieuse » mais elle se révèle être une grosse blague.

le logo du groupe

Tout ça est très stimulant, et c’est déjà beaucoup : les fans parleront d’ailleurs volontiers à leur sujet de groupe expérimental, ça me paraît leur rendre justice. Ce qui rend le groupe encore plus indispensable et si moderne dans son post-modernisme exacerbé (le post-post-modernisme, du coup, ça redevient du modernisme non ?) et qu’on a également mis du temps à comprendre, c’est que la plupart du temps, les genres que le groupe a plagiés ou pastichés, il ne les a jamais ô grand jamais parodiés car il les aimait vraiment : son disque de country « traditionaliste » est un gros doigt d’honneur balancé à la face de Nashville et de ses réacs mais uniquement en raison de paroles super crades et politiquement incorrectes car musicalement, il est hyper chiadé, absolument irréprochable, normé au possible. Idem quand Ween fait du Prince, du Steely Dan, du Mac Cartney, du Fleetwood Mac : il ne se moque pas de ces groupes ou artistes, ne les prend jamais de haut, pour la simple et bonne raison qu’il en est fan.

Avec les années, en fait au moment où il aurait pu tirer profit de son approche si originale de l’histoire du rock, Ween est devenu plus respectable : moins de dérapages punk-hardcore, plus de pop ouvragée, de vraies chansons : White Pepper, le chef d’oeuvre de l’âge mûr, comporte ainsi quelques moments de vraie débilité jouissive mais surtout des grands moments de pop classique et américaine : Stay Forever, énorme tube évidemment inconnu, est ainsi l’une des plus belles chansons d’amour entendues ces dernières années, d’une pureté confondante et bouleversante.

Après  un dernier album où le groupe est revenu à ses miniatures d’humour à caractère très private (vous savez quand vous prenez une voix à la con pour chanter une chanson et faire marrer vos potes ?  Ween les enregistre ces voix à la con et en fait même des albums entiers), le groupe est aujourd’hui en stand-by pour une durée indéterminée. En tout cas ses 2 membres semblent évoluer séparément : Aaron Freeman a annoncé la fin du groupe et a sorti cette année un album sous son propre nom ; Mickey Melchiondo a lui statué que le groupe ne splitterait jamais tant que ses 2 membres fondateurs seraient en vie. Pour l’instant il loue ses services de guide de pêche, true story.

Élégance. Sophistication. Ween.

Il y a beaucoup de choses à retirer de l’écoute de la discographie de Ween mais il faut absolument en retenir ce qu’il a le plus longtemps incarné, et illustré de la plus belle des manières sur son album le plus connu, Chocolate and Cheese, ci-dessus (du chocolat et du fromage, c’était justement mon goûter favori durant les années 80, comme quoi…) : un groupe fun et idiot certes mais aussi très moderne, quasiment avant-gardiste. Une musique qui a conscience de ne pas être toujours forcément cool, mais qui n’est jamais cynique. La bande-son des années 2000-2010, qui brasse tous les genres sans complexes ni hiérarchie aucune, avec 10 bonnes années d’avance. Un groupe qui comprend que trop de second degré tue tout et qu’il ne faut donc pas avoir peur de revenir à un premier degré sincère et pur, fut-il d’une débilité/naïveté à toute épreuve. Un groupe finalement génial au sens propre du terme, précurseur et influent : sans lui, pas de Beck, pas de Daft Punk. C’est ce qui fait de Ween un groupe mille fois plus important que Radiohead, au hasard. Et, accessoirement, mille fois moins chiant.