Juliette Armanet – Le Bikini, Toulouse

2ème passage à Toulouse en moins de 4 mois à peine pour la nouvelle Petite amie de la chanson française. Après le Metronum (salle moyenne) et le Bikini (salle moyenne + ), prochaine étape le Zenith sans doute. Elle aurait d’ailleurs très bien pu y jouer je pense : le Bikini affichait complet une semaine avant le concert et il a été malgré tout décidé de mettre quelques places supplémentaires en vente le jour même. Inédit en ce qui me concerne… Inédit aussi, de mémoire, les portes de la salle ont été laissées ouvertes pour qu’un maximum de personnes puissent assister au spectacle : de fait, pas mal se tenaient dans le sas séparant la salle du hall d’entrée… Tout ça pour dire que les Victoires de la Musique ont évidemment boosté le succès d’un album qui se portait déjà très bien.

Alors c’est pas du tout pour me justifier parce que j’aime vraiment beaucoup certains titres de l’album et que je comprends pas trop le backlash snobinard dont Juliette Armanet fait l’objet depuis quelques mois mais si j’ai choisi d’aller à ce concert, c’est aussi voire surtout parce que j’espérais y voir Ricky Hollywood en 1ère partie. Ricky Hollywood aka Stéphane Bellity, ma révélation française et un de mes albums favoris de l’an dernier, est batteur sur sa tournée et il en assure parfois la 1ère partie.

Mais pas ce soir à mon grand dam : apparemment un concours a été organisé et c’est un gus seul avec sa guitare et quelques effets qui apparaît sous mes yeux lorsque je pénètre dans un Bikini déjà bondé. De loin je trouve qu’il ressemble à Amir et c’est évidemment pas de bon augure. D’ailleurs le type reprend Dormir dehors de Daran et les chaises, c’est dire si on s’en cogne. Il remercie ensuite les organisateurs, Armanet, le Bikini, « surtout après l’explosion d’AZF, c’était pas facile de repartir sur un nouveau projet, c’est pas facile de reconstruire de la chaleur humaine ». Non, c’est pas facile. Un autre truc qui est pas facile : se produire sur scène.

L’entracte dure pratiquement trois quarts d’heure… C’est pourtant pas le genre de concert au cours duquel le bar va pouvoir écouler moult fûts : le public est plutôt jus de pomme. Très féminin évidemment, ça (me) change. Très Grazia. Ca n’empêche pas des odeurs corporelles pas très Petite amie de parvenir à mes narines pourtant pas très sensibles : quelqu’un profite de la forte densité et de la promiscuité pour se laisser aller. A plusieurs reprises. « I can taste it. On my tongue. »

Après quasiment 45 mns donc, le noir se fait et un morceau de Prince retentit (j’ignore lequel, je maîtrise mal le dossier) : le groupe entre en scène et se lance dans un instrumental funky/soft rock des plus moelleux. Les silhouettes des 4 musiciens se découpent sur un beau rideau lamé qui prendra des couleurs tantôt rouges, tantôt bleutées ou dorées : c’est tout simple et très réussi.

La védette les rejoint au bout de quelques mesures, en costume lamé elle aussi, sous une belle ovation. Après avoir salué, elle s’assied derrière son piano et se lance dans Manque d’amour, un de mes morceaux favoris de l’album. Balance approximative (ça sera vite corrigé) mais ça l’effectue. Le groupe est très compétent (euphémisme), bien rôdé (itou) et Juliette Armanet chante parfaitement dès les premières notes.

Ca restera sur ce mode pendant pratiquement 1h30 : incroyable qu’elle joue aussi longtemps avec un répertoire composé d’un seul album, plutôt court qui plus est. C’est bien. C’est tout ? Oui… C’est un peu le problème : c’est bien mais c’est seulement bien. Pas transcendant… Je suis sans doute pas assez fan pour être véritablement transporté j’imagine.

Sur Alexandre, elle fait monter sur scène un type prénommé Alexandre.

Bon, y a un petit truc qui me tient un peu à distance : c’est la distance précisément, qu’elle met parfois lors de sa prestation. Je ne parle pas de son stage banter, qui joue régulièrement sur l’auto-dérision mais de la dérision, du second degré qu’elle introduit dans son interprétation de certains morceaux: sur le superbe Star triste ou sur Samedi soir dans l’histoire, c’est comme si elle se sentait obligée d’en rajouter dans la gestuelle, les attitudes, les intonations, le jeu avec le public pour signifier que oui-ok-c’est-un-peu-cheesy-mais-c’est-un-peu-pour-rire-hein-attention.

C’est dommage selon moi. Sur l’album, on n’a pas cette distance justement, et pour cause, et c’est en partie ce qui fait sa réussite: les plans les plus retro, les morceaux les plus disco et les moins intimes a priori ne s’excusent jamais de l’être et c’est précisément parce qu’ils sont eux aussi exécutés avec la plus grande sincérité qu’ils fonctionnent. Je pinaille et c’est peut-être un sentiment tout personnel mais ça m’a empêché d’être pleinement « dedans » à plusieurs reprises.

Le groupe a quitté la scène sur une belle reprise du I feel it coming de The WeekndDaft Punk, francisée en « Je te sens venir (en moi) » (ça je suis moins sûr). La soirée s’est définitivement close sur une belle version piano-voix de A la folie, autre moment fort de Petite amie. Et c’était une belle soirée malgré tout.

Katerine – Odyssud, Blagnac

Quelques mots sur le très beau concert donné par un des grands héros granderemisesques, Katerine (dont j’ai déjà parlé ici, ici et même ici) mardi soir à Blagnac.

Blagnac, c’est la proche banlieue de Toulouse. Banlieue cossue : c’est là que siègent les usines et bureaux d’Airbus et de diverses autres sociétés du secteur aéronautique ou aérospatial. Odyssud, la salle de spectacle de la commune est donc un lieu cossu lui aussi, à l’image de cette neo-bourgeoisie d’ingénieurs, techniciens qualifiés et chefs de projets en tous genre qui forment une bonne partie de la population de la ville. C’est une salle confortable.
Public très hétéroclite : des jeunes, des vieux, des au-milieu, des enfants, des mecs, des filles, c’est très mélangé sans qu’aucune catégorie ne domine de manière écrasante (ok, peut-être celle des au-milieu i.e. celle de la génération de Katerine qui se trouve être aussi la mienne).

La salle et la scène sont plongées dans le noir : Katerine apparaît déambulant dans les premiers rangs, identifiable et repérable à la seule couronne de lumière qu’il a sur la tête. Il monte sur scène, rejoint par la pianiste Dana Ciocarlie. Ils sont tous deux vêtus comme dans un conte de fées un peu loufoque : on peut légitimement penser au Peau d’Âne de Jacques Demy.

J'ai pas trouvé mais fait moi confiance : il y avait du Jean Marais en roi dans Peau d'âne
J’ai pas trouvé mieux comme photo mais fait moi confiance : il y avait du Jean Marais en roi dans Peau d’âne

Tout le concert (piano-voix donc, avec quelques bruitages additionnels sur quelques titres) sera conforme à cette amorce à la fois drôle, absurde, poétique et élégante. Toujours aussi généreux, Katerine se livre avec une grande intensité et la fausse impudeur qu’on lui connait désormais : il donne une vraie performance au sens théâtral du terme et on comprend définitivement qu’il est devenu un vrai et bon comédien (les films dans lesquels il est apparu, Gaz de France et La Tour de contrôle infernale par exemple cette année, le démontraient déjà). Les titres du dernier album (Katerine : le film) prennent chair, ceux du génial Philippe Katerine passent brillamment le test impitoyable du traitement piano-voix. Si j’étais un connard de publicitaire, web-marketeux ou je-bosse-dans-la-comm de merde (coucou si vous me lisez), je dirais qu’il « raconte une histoire, tu vois », toujours plus intime et organique : la paternité, la filiation, l’héritage mais aussi l’aliénation du quotidien, autant de thèmes qui lui sont chers et qui sont ici déroulés via une setlist et une véritable mise en scène des plus précises sous l’apparent dilettantisme.

Le visuel "officiel" de la tournée
Le visuel « officiel » de la tournée

Quel bonheur aussi d’entendre des titres connus par cœur et dont on n’attendait plus rien de nouveau (c’est la 5ème fois que je le voyais sur scène), être réinventés par un traitement inédit et contre toute attente des plus adapté  (Patati Patata!, 20.04.2005 ie « Marine Le Pen« , Poulet N°728120). Superbe.

Enfin, il y a tout simplement Philippe Katerine lui-même, ou Philippe Blanchard, on ne sait plus très bien : drôle, intelligent, sensible, généreux, touchant. Il livre sur cette tournée et pendant près de 2h une sorte de spectacle total, à la fois musical et théâtral, un tour de chant plus qu’un véritable concert, hors normes, avec, je me répète, une vraie performance d’interprète (il chante merveilleusement bien) mais aussi de comédien. Superbe, vraiment.

Le concert s’achève à la seule lueur d’une bougie sur Moment parfait et il l’est véritablement. Bravo Philippe et merci  ❤

Le roi de France

Je rédige rarement des billets informatifs car je pars du principe qu’ici c’est chez moi et que ça doit être un endroit qui me ressemble autant que possible. Et puis si c’est de l’info que tu cherches, on est sur Internet mon vieux, et j’imagine que tu sais te servir de Google.

Mais je fais une exception aujourd’hui pour présenter un garçon et des chansons qui me tiennent particulièrement à cœur.

Lafayette
Lafayette

J’ai découvert comme tout le monde celui qui se présente donc sous le nom de Frédéric Lafayette par sa trilogie amoureuse (Eros automatique / Mauvaise mine / La glanda).
Mais Eros automatique n’est pas son premier morceau : il s’agit en réalité des Dessous féminins, toujours indisponible à ce jour autrement que via son video clip .

Je crois que c’est l’un des fondateurs du magnifique label Entreprise, qui abrite Lafayette donc, mais également Moodoïd, Bagarre, Fishbach ou Mehdi Zannad, qui parlait à son sujet dans une interview d’ « hyper variété ». Et c’est à mon sens très juste : c’est chanté en français, ça flatte l’oreille bien sûr, mais d’une manière plus subversive que s’il s’agissait de pop stricto sensu, ça parle aux novices tout autant qu’aux music nerds les plus exigeants. Et dès Les Dessous féminins, tout Lafayette est là : précision des mots, détachement élégant et manifeste mais de surface puisque la légèreté masque toujours une certaine mélancolie. La musique populaire française dans ce qu’elle a de meilleur sur un axe qui irait de Jacques Dutronc à Bertrand Burgalat en passant par Etienne Daho ou Jacno.

Lafayette a donc en réalité débarqué via sa trilogie amoureuse, avec tout d’abord Eros automatique, en compagnie de l’über-sursublimissime Alka Balbir (fille de l’insupportable Denis « buuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuutt !!! ah non, ça passe à côté » Balbir).

Plus synthétique, il pose Lafayette en digne héritier des jeunes gens modernes de la fin des années 70, l’esprit pop en prime.

« Si j’pense à toi mon amour
A un détail symbolique
J’revois toujours tes dents un peu asymétriques
Ivoire aux bords coupants
Qui m’a vampirisé
Dont je cherche le mordant dans mes nouveaux baisers »

Joli hein? Joli ET malin.

Second volet de sa trilogie, Mauvaise mine et son clip très Les Nuits de la pleine lune de Rohmer :

Sur les pas d’Eros automatique, et en compagnie cette fois de Liza Manili, il creuse le sillon d’une electro pop à la fois ironique et touchante, drôle et délicate : « Dis moi qu’tu vois pas quelqu’un / Ou plutôt non, ne dis rien / Dès demain j’me prends en main ».

Troisième et dernier volet de la trilogie amoureuse, La Glanda:

Et là mon vieux, LA, ça déconne plus.
Entendons-nous bien : tout ce qui précède est charmant, malin, drôle, touchant, brillant même mais selon moi, avec ce titre, on passe à un niveau encore supérieur. La Glanda c’est tout simplement LE slow et LA chanson de l’été de ceux qui désespéraient d’entendre un jour un titre à aimer sans entraves, dans un genre pourtant dévolu aux grosses scies baveuses (mais pas toujours désagréables, on est d’accord).
« On fout rien, on est bien, ça nous va la glanda » : là aussi, ça commence comme une petite blague mais on comprend très vite que ça va bien au delà. Sur La Glanda, Lafayette se mue en Polnareff post-moderne pour narrer avec élégance toujours et beaucoup de pudeur, ces instants magiques et parfaits vécus au cours d’un été qu’on jurerait sans fin.

Après… outre cet aspect universel qu’il a su saisir et retranscrire avec une finesse et une délicatesse infinies (la magie fugace d’un été parfait donc), il y a dans La Glanda une production ouatée et moelleuse, une pâte electro-acoustique héritée des 70s mais intemporelle, une forme d' »hyper variété » là encore, qui en ont fait pour moi un classique instantané et, à titre personnel, une de ces chansons-compagnons qui m’accompagnent sur de nombreuses années. Je trouve ce morceau absolument parfait et il me touche énormément, tout simplement.

L’an dernier, il y a « juste » eu cette petite chose :

Un remix de l’excellent Le chrome et le coton de Jérôme Echenoz. J’aime bien le titre original, j’aime bien également l’album de Jérôme Echenoz, mais sans vouloir lui faire offense, cette version élève sérieusement le morceau, le transposant sur le terrain d’un lyrisme rentré qui le rend assez ébouriffant.
Accessoirement, ça te dit peut-être quelque chose : la chanson a en effet été utilisée pour une pub (Citroen DS 3).

Aujourd’hui, Lafayette revient donc avec un nouveau simple, La mélancolie française :

Et il semble à nouveau s’être réinventé, donnant à son titre une ampleur inédite (hors le remix ci-dessus). Lafayette y incarne pleinement, tout autant qu’il s’en amuse, sa nature essentielle d’artiste français, convoquant des figures bigger than l’Hexagone pour mieux les liquider. Brillant, encore.

La mélancolie française pourrait bien être à Lafayette ce que France Culture fut à Arnaud Fleurent-Didier il y a quelques années: un titre somme, étendard, programmatique, définitif, en même temps qu’un sésame pour l’univers du grand public (toutes proportions gardées évidemment).
On verra. C’est en tout cas tout le mal que je lui souhaite car je pense sincèrement que ce garçon possède un talent rare et précieux que je trouverais dommage de ne réserver qu’à un nombre restreint d’esthètes et initiés. Et ce que je te souhaite à toi, et à moi par la même occasion, c’est un album, et vite parce que ça commence à faire long !