Le roi de France

Je rédige rarement des billets informatifs car je pars du principe qu’ici c’est chez moi et que ça doit être un endroit qui me ressemble autant que possible. Et puis si c’est de l’info que tu cherches, on est sur Internet mon vieux, et j’imagine que tu sais te servir de Google.

Mais je fais une exception aujourd’hui pour présenter un garçon et des chansons qui me tiennent particulièrement à cœur.

Lafayette
Lafayette

J’ai découvert comme tout le monde celui qui se présente donc sous le nom de Frédéric Lafayette par sa trilogie amoureuse (Eros automatique / Mauvaise mine / La glanda).
Mais Eros automatique n’est pas son premier morceau : il s’agit en réalité des Dessous féminins, toujours indisponible à ce jour autrement que via son video clip .

Je crois que c’est l’un des fondateurs du magnifique label Entreprise, qui abrite Lafayette donc, mais également Moodoïd, Bagarre, Fishbach ou Mehdi Zannad, qui parlait à son sujet dans une interview d’ « hyper variété ». Et c’est à mon sens très juste : c’est chanté en français, ça flatte l’oreille bien sûr, mais d’une manière plus subversive que s’il s’agissait de pop stricto sensu, ça parle aux novices tout autant qu’aux music nerds les plus exigeants. Et dès Les Dessous féminins, tout Lafayette est là : précision des mots, détachement élégant et manifeste mais de surface puisque la légèreté masque toujours une certaine mélancolie. La musique populaire française dans ce qu’elle a de meilleur sur un axe qui irait de Jacques Dutronc à Bertrand Burgalat en passant par Etienne Daho ou Jacno.

Lafayette a donc en réalité débarqué via sa trilogie amoureuse, avec tout d’abord Eros automatique, en compagnie de l’über-sursublimissime Alka Balbir (fille de l’insupportable Denis « buuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuutt !!! ah non, ça passe à côté » Balbir).

Plus synthétique, il pose Lafayette en digne héritier des jeunes gens modernes de la fin des années 70, l’esprit pop en prime.

« Si j’pense à toi mon amour
A un détail symbolique
J’revois toujours tes dents un peu asymétriques
Ivoire aux bords coupants
Qui m’a vampirisé
Dont je cherche le mordant dans mes nouveaux baisers »

Joli hein? Joli ET malin.

Second volet de sa trilogie, Mauvaise mine et son clip très Les Nuits de la pleine lune de Rohmer :

Sur les pas d’Eros automatique, et en compagnie cette fois de Liza Manili, il creuse le sillon d’une electro pop à la fois ironique et touchante, drôle et délicate : « Dis moi qu’tu vois pas quelqu’un / Ou plutôt non, ne dis rien / Dès demain j’me prends en main ».

Troisième et dernier volet de la trilogie amoureuse, La Glanda:

Et là mon vieux, LA, ça déconne plus.
Entendons-nous bien : tout ce qui précède est charmant, malin, drôle, touchant, brillant même mais selon moi, avec ce titre, on passe à un niveau encore supérieur. La Glanda c’est tout simplement LE slow et LA chanson de l’été de ceux qui désespéraient d’entendre un jour un titre à aimer sans entraves, dans un genre pourtant dévolu aux grosses scies baveuses (mais pas toujours désagréables, on est d’accord).
« On fout rien, on est bien, ça nous va la glanda » : là aussi, ça commence comme une petite blague mais on comprend très vite que ça va bien au delà. Sur La Glanda, Lafayette se mue en Polnareff post-moderne pour narrer avec élégance toujours et beaucoup de pudeur, ces instants magiques et parfaits vécus au cours d’un été qu’on jurerait sans fin.

Après… outre cet aspect universel qu’il a su saisir et retranscrire avec une finesse et une délicatesse infinies (la magie fugace d’un été parfait donc), il y a dans La Glanda une production ouatée et moelleuse, une pâte electro-acoustique héritée des 70s mais intemporelle, une forme d' »hyper variété » là encore, qui en ont fait pour moi un classique instantané et, à titre personnel, une de ces chansons-compagnons qui m’accompagnent sur de nombreuses années. Je trouve ce morceau absolument parfait et il me touche énormément, tout simplement.

L’an dernier, il y a « juste » eu cette petite chose :

Un remix de l’excellent Le chrome et le coton de Jérôme Echenoz. J’aime bien le titre original, j’aime bien également l’album de Jérôme Echenoz, mais sans vouloir lui faire offense, cette version élève sérieusement le morceau, le transposant sur le terrain d’un lyrisme rentré qui le rend assez ébouriffant.
Accessoirement, ça te dit peut-être quelque chose : la chanson a en effet été utilisée pour une pub (Citroen DS 3).

Aujourd’hui, Lafayette revient donc avec un nouveau simple, La mélancolie française :

Et il semble à nouveau s’être réinventé, donnant à son titre une ampleur inédite (hors le remix ci-dessus). Lafayette y incarne pleinement, tout autant qu’il s’en amuse, sa nature essentielle d’artiste français, convoquant des figures bigger than l’Hexagone pour mieux les liquider. Brillant, encore.

La mélancolie française pourrait bien être à Lafayette ce que France Culture fut à Arnaud Fleurent-Didier il y a quelques années: un titre somme, étendard, programmatique, définitif, en même temps qu’un sésame pour l’univers du grand public (toutes proportions gardées évidemment).
On verra. C’est en tout cas tout le mal que je lui souhaite car je pense sincèrement que ce garçon possède un talent rare et précieux que je trouverais dommage de ne réserver qu’à un nombre restreint d’esthètes et initiés. Et ce que je te souhaite à toi, et à moi par la même occasion, c’est un album, et vite parce que ça commence à faire long !

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