Only Lovers Left Alive – critique

Dans les villes romantiques et désolées que sont Détroit et Tanger, Adam, un musicien underground, profondément déprimé par la tournure qu’ont prise les activités humaines, retrouve Eve, son amante, une femme endurante et énigmatique. Leur histoire d’amour dure depuis plusieurs siècles, mais leur idylle débauchée est bientôt perturbée par l’arrivée de la petite sœur d’Eve, aussi extravagante qu’incontrôlable. Ces deux êtres en marge, sages mais fragiles, peuvent-ils continuer à survivre dans un monde moderne qui s’effondre autour d’eux ? (Allociné)

Only Lovers Left Alive
Attaqué à reculons: je ne déteste pas Jarmusch, j’aime bien voire beaucoup certains de ses films (Dead Man, Ghost Dog essentiellement) mais je n’aime pas son côté « cinéaste rock », « urbain » « new-yorkais », « errance nocturne ». Vu que j’aime pas le rock. Normal.

C’est en tout cas ainsi que j’avais identifié ce film (un « film rock » donc, pour faire court et si tant est que ça veuille dire quelque chose) sur la foi de quelques images sans doute. Et j’avais, en partie, tort. En partie car oui, le film se veut cool, nonchalant, « rock » et il l’est sans mal, il faut bien l’avouer.

Mais l’essentiel est ailleurs et cet essentiel pourrait carrément être un manifeste granderemisque en réalité… En même qu’il constitue une sorte d’adaptation/variation sur le A rebours de Huysmans (bon, de loin, mais quand même).

Là où Jarmusch est très fin, très intelligent et très sensible, c’est que le point de vue d’Adam (interprété par Tom Hiddleston), vampire fétichiste et passéiste qui vit dans sa maison-musée entouré des sublimes vestiges matériels et immatériels des siècles passés, point de vue qu’on imagine bien être le sien (et le mien par la même occasion…), est très vite contre balancé, ou plutôt complété, par celui d’Eve (interprétée par Tilda Swinton) et de son besoin d’humain, de légèreté, de joie, de vie. C’était bien avant, mais c’est bien aussi maintenant si on veut bien s’en donner la peine : c’est ce que nous dit le film et ça c’est une putain de leçon de vie tu vois.

Non mais blague et cynisme à part, c’est très beau, très intelligent (limpide sans être didactique pour autant) et très émouvant à la fois, c’est donc un grand film. Sinon plus.

#47 The Kinks – Are the Village Green Preservation Society

The Kinks - Are the Village Green Preservation Society

Les Kinks ont ceci de particulièrement génial (entre autres) qu’ils nous accompagnent à différentes étapes de notre amour de la musique, à différentes étapes de la vie tout court. C’est évidemment le cas de nombreux artistes, lorsqu’ils ont suffisamment de talent pour parvenir à se développer sur des périodes et de manières distinctes s’entend mais je trouve que c’est particulièrement vrai pour eux.

Lorsqu’on est jeune et plein de sève, il est impossible de ne pas succomber à la véritable sauvagerie de leurs premiers morceaux et notamment bien sûr de ces 2 classiques absolus du rock proto-garage que sont You Really Got Me et All Day and All of the Night.

Après on grandit, notre appréhension de la musique (et de la vie donc) s’affine. On commence à prendre du recul, on encaisse ou observe certains événements d’un œil amusé. A ce stade là, les chefs d’oeuvre d’ironie de la doublette royale Face to Face / Something Else deviennent précieux.

Enfin, on en arrive au stade où il faut lutter pour ne pas céder aux sirènes du « c’était mieux avant ». Ou alors, quand on y cède, on s’en veut, on culpabilise… Et du coup on écoute le dernier James Blake. Et on se fait chier, mais on le dit pas car on voudrait pas passer pour un vieux con.
C’est là, normalement, que l’amour et l’admiration pour Ray Davies sont à leur apogée car il a évoqué, personnifié même ce sentiment mieux que personne: c’est à ce titre que Village Green Preservation Society est un chef d’oeuvre et SON chef d’oeuvre en particulier.

On a là un type, Ray Davies donc, d’extraction populaire, qui a quitté dès qu’il en a eu la possibilité un univers étouffant de conformisme voire de passéisme et qui dans le même temps, ne peut s’empêcher de ressentir une immense affection, une immense tendresse pour ce monde auquel il a tourné le dos. Et qui le raconte de la plus merveilleuse manière qui soit, avec distance mais avec également des bouffées de sincérité (et de tendresse donc) véritablement bouleversantes. Ca, au-delà d’une quelconque identification un peu superficielle voire puérile, ça me touche plus que tout.

Pour le reste, (les Kinks en général, leur carrière, leur musique), je te renverrai aux merveilleuses pages écrites par le grand Philippe Auclair aka Louis Philippe dans le Dictionnaire du Rock de Michka Assayas : personne n’a écrit et n’écrira jamais de manière aussi brillante et sensible sur ce groupe.

La session de rattrapage 10

Aujourd’hui, du lourd.

Winter’s Bone

Il passait directement après Sunset Boulevard donc je me suis dit, hey, pourquoi pas? Il me semblait en avoir eu/lu de bons échos en fait même si j’étais plus très sûr de quoi il s’agissait.
Bon, c’est donc l’histoire d’une adolescente interprétée par une (très) jeune Jennifer Lawrence qui doit s’occuper de sa mère quasi-catatonique (on ne saura jamais ce qui lui arrive/est arrivé) et de ses 2 jeunes frère et sœur, après que son père, petit margoulin redneck notamment fabriquant de méthadone, est porté disparu suite à sa sortie de prison. Précision importante : l’intrigue se déroule dans les inhospitaliers monts Ozarks, petite chaîne entre le Missouri et l’Arkansas à côté desquels les décors de Delivrance ou de Justified font office d’aimable parc d’attraction.

Je suis de moins en moins fan des films « sociaux »ou des films naturalistes, peu importe la manière dont on les désigne, qu’ils soient français, américains ou autres mais ici, la rigueur documentaire alliée à une intrigue à la forte puissance d’évocation, emporte le morceau. On songe évidemment un peu à la Nuit du Chasseur, référence inévitable de toutes les histoires américaines d’enfants perdus, et c’est précisément lorsque le film crée de la fiction, avec une atmosphère tirant vers le fantastique, qu’il convainc le plus. La Lawrence est très bien, et on a le plaisir de retrouver dans un second rôle important l’excellent John Hawkes dont le physique de hillbilly émacié a notamment été vu, et apprécié dans Eastbound and Down (il y interprétait le frère de Kenny Powers).

L’Enfant sauvage

Je l’avais vu il y a très longtemps, lorsque j’étais enfant je pense, autant dire que ce fut une redécouverte totale même s’il m’en restait des images fortes. C’est évidemment magnifique. Je n’ai honnêtement pas grand chose à dire de plus tellement le film est limpide, évident. Presque documentaire, collant au plus près au journal tenu par le Docteur Itard, il nous dit simplement, sans pathos, sans porter de jugement, que vivre dans le monde des hommes est une chose magnifique et terrible à la fois.

« Aujourd’hui, Victor a pleuré pour la première fois ». Magnifique.

Sunset Boulevard

La chair est triste, ok, mais je suis loin d’avoir lu tous les livres. En revanche, j’ai écouté tous les disques ou presque.  Je veux dire, tous les disques qui comptent : Revolver, Pet Sounds, Exile On Main Street, Autobahn, Blonde On Blonde, London Calling, tous les Grands Disques, ceux qui sont plébiscités à la fois par le public et par la critique. Et j’ai également vu tous les Grands Films : Citizen Kane, Le Voyage à Tokyo, La Dolce Vita, La Prisonnière du Désert, La Maman et la Putain, tous les classiques du monde cités dans tous les tops et les classements du monde. A l’exception notable de Sunset Boulevard. Je me suis donc retrouvé dans une position que je n’avais plus connue depuis des années et que je ne connaîtrai peut-être plus jamais de ma vie. C’est une sensation étrange…

Bon, quelques mots sur le film quand même, avant d’aller me tirer une balle dans le cul : on est évidemment « in the presence of greatness » comme disent les anglo-saxons, ça se discute difficilement il me semble. J’ai donc évidemment trouvé ça génial, je n’ai pas été déçu le moins du monde. Ce qui m’a le plus emballé et touché c’est que malgré ce regard ironique et sans concessions qui participe beaucoup de la modernité du film et qui lui confère son statut de classique, de Grand Film encore, c’est que constamment, la tendresse et la bienveillance l’emportent (par rapport à l’industrie, au personnage de Gloria Swanson). Distance/empathie, premier/second degrés, classicisme/post-modernisme, c’est fort de parvenir à concilier les 2 à la fois. Enfin, je sais pas si c’est fort mais c’est une chose à laquelle je suis très sensible. Au cinéma, dans la musique et dans la vie même serais-je tenté de dire. Donc je le dis.

Mulholland Drive

Je l’ai vu 4 fois en salles à sa sortie (performance inédite et inégalée, et qui le restera je pense) et je ne l’avais pas revu depuis.
Je vais pas en faire des caisses ni des tartines, c’est évidemment l’un des plus beaux films du monde et, peut-être, le dernier Grand Film, le dernier équivalent à Vertigo, Sunset Boulevard, La Prisonnière du Désert, tous ces films qu’on trouve régulièrement dans les classements des meilleurs films de l’Histoire du cinéma. Je réfléchis, je n’en vois pas d’autre sur ces 15 dernières années. Un film mythique au sens propre i.e. qui appartient à un mythe (ici Hollywood, envisagé comme tel à chaque seconde), qui est plus ou moins irréel mais aussi idéalisé (ou « cauchemardisé » parfois). Et bien sûr qui est devenu lui-même un mythe à part entière.

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En ayant visionné les 2 films quasiment à la suite, ce qui m’a frappé c’est à quel point Sunset Boulevard m’a fait penser à Mulholland Drive, alors que l’inverse, pas du tout. C’est à dire que Lynch a tellement intégré et digéré le film de Wylder que son influence ne se fait jamais sentir de manière évidente ou manifeste (sauf peut-être lors de ce plan de l’entrée des studios Paramount). C’est fort ça…

Après, avec le recul, il apparaît encore plus évident que Mulholland Drive constitue à la fois « le bout du chemin » pour David Lynch, c’est à dire le film qui va à la fois réunir tous ces précédents films en les transcendant, et un moment de grâce, de transcendance précisément, absolu. Et cette grâce explose véritablement dans ces instants purement lynchiens au cours desquels le temps est suspendu, où l’on a la sensation de toucher du doigt un absolu, quelque chose de l’ordre de l’Éternité ou même du divin : la scène du baiser et son définitif « I’m in love with you », la scène du « secret path » à la fin, portée par le lyrisme du thème d’Angelo Badalamenti. Ces 2 scènes là… Pfiou… C’est une chose de créer de l’émotion, c’en est une autre de la créer et de la rendre palpable à la fois pour les spectateurs, pour les personnages et probablement pour les acteurs eux-mêmes lors du tournage.

Les quelques boni du DVD (un bonus, des boni) m’ont également rappelé que Mulholland Drive a d’abord été envisagé comme le pilote d’une série, que le projet a été annulé et que Lynch a rebondi en le transformant en long-métrage… un an et demi après les premiers tours de manivelle ! Faire d’un obstacle, d’une impasse même une opportunité créative, laisser sa part de hasard à un projet aussi méticuleux et aussi maîtrisé en apparence, voilà peut-être la preuve ultime de son génie en même temps qu’un geste lynchien définitif.

Un mot enfin, au sujet de Naomi Watts, dont la performance est au-delà de l’éloge. Là aussi, Lynch a su faire de son 1er premier rôle un moment de grâce qui va au-delà de la mise en abyme. Elle a fait une belle carrière depuis mais ce que qu’elle donne dans ce film putain… C’est miraculeux. Mais tout le film est miraculeux évidemment.

La session de rattrapage 7

Encore quelques films vus récemment sur ma superbe Nokia Nicam Stereo.

Mission Impossible : Protocole Fantôme


Vu avant de me faire l’exceeeeellent 5ème volet. Très bien. Pas grande chose à dire de plus: c’est ce à quoi devraient ressembler tous les blockbusters/films d’actions hollywoodiens dotés de la même puissance de frappe mais qu’on voit évidemment trop peu souvent. Comme quoi c’est pas con de mettre un vrai réalisateur aux manettes… (Brad Bird ici, Christopher Mac Quarrie pour le 5).

Jack Reacher

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Il y a du Cristiano Ronaldo chez Tom Cruise. Ou l’inverse, peu importe. Outre une vague ressemblance physique (ce côté cyborg sans âge, surtout chez Cruise là pour le coup mais il y a fort à parier que CR7 vieillira de la même manière), une obsession de la performance, de la perfection physique là aussi, un ego surdimensionné bien sûr, une nécessité d’être toujours le centre d’attention numéro 1 de leur équipe/film, une part d’ombre (scientologie chez l’un/mais c’est quoi au juste le fin mot de l’histoire avec ce gamin? chez l’autre) un parcours sans faute, quoiqu’on pense d’eux et pourtant une côte d’impopularité assez remarquable chez d’aussi puissantes mega-stars.
Bon, sinon, le film est quand même assez génial. Il est surtout d’une exhaustivité bluffante :  des scènes de dialogue brillantissimes (la scène du bar et ses punchlines débiles à la Last Action Hero), des scènes muettes et de pure mise en scène à couper le souffle (la scène d’ouverture, la poursuite en bagnole; revoir à ce sujet l’excellent premier film de Christopher Mac Quarrie, The Way of the Gun), un scenario malin comme tout (à la Columbo ie on connait l’assassin dès le départ). Si je fais le bilan, on a donc de la comédie, de l’action, du polar, Werner Herzog dans le rôle du bad guy (idée géniale!) et un poil de romance. ET des gros seins. Bilan TRES positif, donc.

 

The Limits of Control

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Un film que j’avais sous le coude depuis pas mal de temps mais que je n’arrivais pas à me motiver à regarder.
Et là j’avais raison: j’ai trouvé que c’était une grosse blague d’une prétention sans nom. J’ai lu quelques critiques : on parle parfois du chef d’oeuvre de Jarmusch. Je pense pour ma part qu’on est à la limite du foutage de gueule. Oui, c’est beau, très beau même, c’est sublimement cadré, photographié, tout ce que tu veux, c’est énigmatique à souhait mais (puisque c’est là que se situe le hic pour moi) j’ai vu cette opacité comme une pose qui m’a constamment laissé en dehors. Chez Lynch (puisqu’il est parfois cité comme une influence ou un référent du film), les éléments les plus opaques, inexplicables nous intriguent, nous fascinent, nous happent même, pour reprendre l’image de la boîte de Mulholland Drive ou de l’oreille de Blue Velvet, dans un tourbillon des sens vertigineux qui fait de la compréhension un enjeu accessoire voire non avenu. Pour dire les choses d’une autre manière, je suis tout à fait prêt à me faire trimballer par une histoire à laquelle je ne comprends rien si en contrepartie tout le reste m’emballe. Ce qui n’a donc pas été le cas ici, et je suis gentil : ce fut en réalité une purge.

Une journée en enfer

Une journée en enfer
Du coup j’ai enchaîné avec ça illico parce que c’était diffusé sur une quelconque chaîne de la TNT et que j’avais besoin de me laver un peu le cerveau. Ca m’a fait bien plaisir de le revoir, ça faisait longtemps. « Eh ducon, une seconde! Tu vois, tu dis « ducon » et il s’arrête » : à voir évidemment et impérativement en VF pour profiter de la voix géniale de Patrick Poivey. J’adore ce film, vraiment, c’est mon préféré dans la trilogie Die Hard.
Sinon, marrant de constater que ce film, sorti en 1995, après le grunge donc, pendant les années Clinton, au moment de l’apparition d’un Beck par exemple, puait encore les années 80.

Ty Segall – Manipulator – critique

Depuis le temps que je te bassine avec Ty Segall, ici et ailleurs, il m’a paru logique de lui consacrer un véritable billet. La sortie de son nouvel album, Manipulator, en fournit l’occasion idéale.

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Pour faire court puisque tu peux toujours aller sur Wikipedia pour davantage d’informations, Ty Segall est un californien de 27 ans qui pratique un style qu’on pourrait qualifier de garage-psyché. « Pourrait » car évidemment, il ne se limite pas à cela. Et c’est ça qui est génial : ce type incarne tout bonnement toutes les facettes de ce que, faute de mieux, on qualifie généralement de « rock ». Et il l’incarne mieux que quiconque à l’heure actuelle : garage, psyché donc mais aussi punk, metal, pop, folk, rien ne lui fait peur, il maîtrise tout. Bien sûr il y a des francs tireurs ici et là (Reigning Sound, Lords of Altamont, Jim Jones Revue pour n’en citer que quelques uns au hasard) mais personne qui soit, comme lui, aussi transversal, aussi exhaustif. Ni aussi talentueux.

S’il a déjà fait ses preuves sur ses très nombreux enregistrements (souvent géniaux et, au minimum, dignes d’intérêt), il résume tout cela à merveille sur son dernier album, Manipulator donc.
C’est sans doute l’album à conseiller en premier lieu à ceux qui ne le connaissent pas du tout et probablement aussi l’album de la reconnaissance définitive.
Sa notoriété grandit depuis plusieurs années mais Manipulator, plus long, plus « poli » (au sens de « produit »), plus pop en somme que tout ce qu’il a pu enregistrer auparavant, devrait lui valoir un certain succès commercial et, au minimum, une exposition médiatique inédite pour lui.

Et tout cela, c’est là que Ty Segall est génial (oui, ça fait déjà 3 fois que j’emploie cet adjectif), sans que jamais on se dise qu’il a fait des compromis ou qu’il s’est un tant soit peu calmé (il a du jus ce garçon, je te prie de le croire).
Quoique plus facilement abordable que tout ce qu’il a pu sortir jusque là (à l’exception de Sleeper, son sublime album acoustique sorti l’an dernier) Manipulator multiplie les moments de pure sauvagerie rock’n’roll absolument dantesques et jouissifs. Le quintet d’ouverture mon Dieu… Je ne compte plus les passages du disque (un solo, un refrain, un riff) sur lesquels je me surprends à sourire comme un couillon juste parce que c’est bon. De l’adrénaline, de la joie, du plaisir à l’état pur. L’incarnation la plus parfaite, la plus immaculée, la seule en vérité à l’heure actuelle, du rock’n’roll.

Le côté pop, c’est avant tout des influences glam rock parfaitement assumées, voire transparentes. Il avait déjà enregistré un EP de reprises de T-Rex joliment intitulé Ty Rex mais ici il pare nombre de ses compos des attributs les plus identifiables du genre : guitares sèches, quatuor à cordes, vocaux haut perchés, refrains hyper catchy. Il nous gratifie même d’un petit intermède à la Mickey Finn (percussionniste de T-Rex) sur Feel, l’un des moments forts de l’album (et LE moment fort de ses prestations scéniques). The Singer fait ainsi figure de modèle du genre : une ballade enviolonnée qui n’aurait pas fait tâche sur The Slider. Plus loin, il chourre un peu l’intro de Jean Genie à Bowie sur The Faker, dont le simple titre l’exonère illico de la moindre accusation de plagiat (il est malin en plus ce coquin).

Pour conclure et finir de situer le gars dans ma hiérarchie personnelle, je me souviens d’une couverture de Technikart consacrée à Beck et titrée « L’Homme le Plus Fort du Monde ». Je m’en souviens encore après toutes ces années (ça devait être en 1996) parce que je trouvais ça absolument juste et justifié. Eh bien en 2014, l’Homme le Plus Fort du Monde, c’est encore un blondinet californien hyper prolifique, c’est Ty Segall.

#29 Jason Falkner – Presents Author Unknown

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Beaucoup de « D » au bout du compte dans mon top mais pas de Dylan :toocoolforschool: Je citerai encore une fois Nick Hornby dans son recueil 31 songs cette fois :

« Je possède bien évidemment Blonde on Blonde et Highway 61 Revisited. Ainsi que Bringing It All Back Home et Blood on the Tracks. Tout amateur de musique a ces 4 albums dans sa discothèque. Et je m’intéresse également assez à Dylan pour avoir acheté les volumes 1 à 3 des Bootlegs series et cet album live dont on sait aujourd’hui qu’il n’a pas été enregistré au Royal Albert Hall »

Il continue comme ça pendant un gros paragraphe en citant une dizaine d’albums de Dylan qui font également partie de sa discothèque.

« Certaines personnes – ma mère par exemple, qui n’a pas plus de vingt CD en tout et pour tout – en concluraient que je suis un fan de Dylan. Or, des fans de Dylan, j’en connais, et ils ne reconnaitraient pas l’un de leurs en moi. […] Je ne connais aucun texte de ses chansons en entier – juste un ou deux vers par-ci, par-là. Je ne considère pas que Dylan soit plus important ni plus talentueux qu’Elvis Presley, Marvin Gaye, Bob Marley ou plusieurs autres artistes majeurs […] Simplement, j’aime bien quelques mélodies, ce qui, ai-je été amené à croire, ne suffit absolument pas. » (31 songs, pp 53,54,55)

Ca ne lui suffit pas non plus pour intégrer mon top et crois moi qu’il doit bien avoir les boules à l’heure qu’il est mais tant pis pour lui, c’est la vie, eh oh c’est bon, il va s’en remettre quand même.

Donc le disque suivant dans mon top est ce sublime exemple de power pop anglophile qui n’aura malheureusement pas vraiment de suite digne de ce nom. Jason Falkner est un musicien supérieurement doué dont on s’est très rapidement arraché les services (Air, Beck, McCartney, Glenn Campbell pour ne citer que les plus illustres), au détriment sans doute de sa propre carrière d’auteur-compositeur. C’est dommage car ce 1er album tutoie la perfection : il fait partie de ceux auxquels je pense immédiatement lorsque je cherche un album qui équilibre à parts égales pop, rock et folk.

#28 Nick Drake – Five Leaves Left

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Il m’est, « physiquement » j’ai presqu’envie de dire, impossible de parler de ce disque. Autant Pink Moon et Bryter Layter, ses 2 autres albums, pourquoi pas, j’arrive à avoir un peu de recul mais celui là, ça m »est impossible. C’est trop beau, trop fort, trop triste. Five Leaves Left, c’est comme le Panthéon à Rome ou la vallée de Glencoe en Ecosse : tu encaisses et tu te tais.

#27 The Divine Comedy – Liberation

Liberation+The+Divine+Comedy
Il y a 20 ans, Neil Hannon incarnaitt un peu le messie. En période post-grunge et pré-Britpop, avec donc une « pop » pure et dure un peu en berne, l’apparition d’un petit mec qui prétendait vouloir se mesurer à Burt Bacharach ou Scott Walker, et qui semblait en mesure de s’élever au niveau de son ambition, ça faisait du bien.

Aujourd’hui Neil Hannon n’intéresse plus grand monde (c’est dommage mais c’est pas le sujet) : il faut pourtant retourner à ses premiers disques, et notamment à celui-ci, magistral condensé de pop ambitieuse, sophistiquée et classieuse.

Liberation donc. Un titre presque trop évident pour un premier album en forme de déclaration d’intention mais surtout de jaillissement. Avant un final d’un lyrisme tout anglo-saxon, rentré et frémissant, le feu sous la glace. Et toutes guitares dehors ! C’est le beau paradoxe de Liberation que de s’achever sur une forme plutôt « traditionnelle » (comprendre : on y entend beaucoup les guitares) alors qu’il n’aura été jusque là qu’un vibrant plaidoyer pour cordes, cuivres, hautbois, harpe, clavecin. La doublette Queen of the South / Victoria  Falls notamment, ne cesse de me fasciner.

Le deuxième album de Divine Comedy, Promenade, enfonce le clou d’une pop de chambre précieuse et snob, loin, très loin des canons traditionnels de l’époque. Un album que j’adore également et que j’ai failli substituer à celui-ci pour la seule Summerhouse, très très haut dans le top des chansons qui me laissent en lambeaux à chaque écoute.

Le suivant, Casanova, est plus outré, plus léger, plus grand-guignolesque mais tout aussi virtuose, avec notamment la meilleure imitation de Scott Walker imitant Jacques Brel jamais enregistrée (The Dogs and the Horses).

Ensuite, mis à part sur le EP A Short Story About Love, parfois terrassant, Neil Hannon s’est perdu dans ses fantasmes symphoniques (le pénible Fin de Siècle). Il a tenté de se réinventer sous la férule du tout aussi pénible Nigel Godrich mais ça ne fonctionnait pas.
Il est finalement revenu à ce qu’il sait faire de mieux, tout en ne cédant plus aux sirènes de la grandiloquence et en gardant constamment une certaine légèreté : ces 2 derniers albums, passés inaperçus, démontrent toujours un savoir-faire assez bluffant.

True Detective – saison 1 – critique

Je ne vais pas revenir en profondeur sur une série qui a créé l’évènement et déjà été largement discutée un peu partout. Juste rapidement donner mon opinion et soulever un point que je trouve intéressant (= râler un peu comme j’ai pris l’habitude de le faire).

Tout d’abord : oui, mille fois oui, True Detective est une immense réussite. Décors, intrigue, réalisation (même réalisateur pour les 8 épisodes), interprétation, tout respire la classe, l’inspiration, le talent et le travail bien fait. Tout ça a déjà été dit un peu partout.

Si la plongée dans le bayou exhale un indispensable parfum de souffre, nous fait suffoquer, littéralement, elle demeure assez classique, voire convenue. Du beau boulot néanmoins. Deux choses retiennent véritablement l’attention il me semble. La narration, très habile, l’enchâssement des différentes périodes décrites et retranscrites à l’écran, qui crée le véritable suspens : la question, très rapidement, n’est pas de savoir qui a commis ces meurtres mais de savoir ce qu’il s’est passé entre les 2 détectives.
Ce qui m’amène évidemment à évoquer LE gros point fort selon moi de True Detective : c’est le propos qui me parait véritablement nouveau et digne d’intérêt (euphémisme). La noirceur, l’extrême acuité du regard du personnage de Rust Cohle (un Matthew McConaughey beau comme un Dieu, oh my God, sérieusement, quelle classe avec ses petites vestes en velours…), son regard franchement nihiliste sur la nature humaine… Pfiou, honnêtement, j’ai rarement vu ça à l’écran. Certaines tirades, extrêmement écrites, mais délivrées avec une maestria confondante, font déjà date. Avec bien sûr en contrepoint la dévotion du détective à sa tâche, son sacerdoce. Quel magnifique personnage. Et McConaughey encore une fois, quelle métamorphose ! Ce mec cachetonnait dans des rom-com pathétiques, il est aujourd’hui le meilleur acteur américain, pas moins.

True Detective - saison 1
Un seul bémol (SPOILER ALERT, je répète, SPOILER ALERT):  qu’est ce que c’est que cette conclusion (je parle là de la dernière minute) ??? C’est un peu comme si tout ce qui avait édifié auparavant se trouvait balayé d’un revers de la main. Curieux et vraiment dommage. Bon, je passe, je veux pas me gâcher le plaisir. Mais c’est un coup à tout foutre en l’air ça… FIN DU SPOILER.

Un dernier point : j’ai lu très régulièrement que True Detective ferait date car elle hisse la série au niveau du cinéma. Et ça, ça m’énerve un peu. Le medium série a-t-il réellement besoin de se hisser où que ce soit? Pourquoi toujours comparer avec le grand écran? On aime les séries précisément parce qu’elles ne sont pas du cinéma. Parce qu’elles prennent leur temps, parce qu’elles instaurent un rendez-vous régulier, parce que les phénomènes d’addiction et de profonde empathie qu’elles parviennent à créer n’appartiennent qu’à elles, tout simplement. Les Sopranos, 24, Seinfeld ou Lost au cinéma, ça tente quelqu’un? Pas moi en tout cas, pas le moins du monde.

True Detective s’annonce comme une future grande série, c’est déjà bien suffisant.

#24 The Delgados – Hate

The Delgados - Hate
Il y a un an (oui ça fait un an, un peu plus même que j’ai démarré mon top 100. T’es pressé toi ? Bon alors ça va, ça sert à rien de râler.) cet album n’aurait peut-être pas eu droit à tant d’honneur. Disons qu’il ne figurait pas parmi les 80 indiscutables. Mais là je suis dans une période où j’en ai un peu marre du folk et de l’americana (j’ai l’impression d’avoir tout entendu, je n’y trouve rien qui m’excite depuis un bon moment etc) et où je me recentre à mort sur mon Moi profond qui est comme chacun sait celui d’un petit chiot mélancolique et joyeux à la fois, fondamentalement poppy.

Ceci dit, cet album est objectivement une petite pépite. Il est sorti à une époque où Dave Fridmann était THE producteur, auréolé d’insurpassables réussites avec Mercury Rev et les Flaming Lips (que tu retrouveras bien évidemment un peu plus loin dans mon top. Dans 3 ans donc.).
Il me touche en outre beaucoup car c’est l’archétype de l’album sur lequel des mecs (et une nana) un peu lambda se surpassent totalement parce que touchés par la grâce, parce que secondés par LA bonne personne (Dave Fridmann donc), parce que l’instant T, parce qu’au bon endroit, au bon moment, tout simplement.

Pas manchots ceci dit les Delgados, ni avant (The Great Eastern), ni après (Universal Audio). Un bon petit groupe qui vieillit très bien.
Mais ici… Des chansons superlatives (ouverture genre bo de la Création, single parfait, accrocheur et fielleux avec All You Need Is Hate, mélodie irréelle d’apparente banalité et pourtant inépuisable avec Coming In From the Cold, une chanson totalement linéaire mais qui n’a besoin d’aucune variation puisqu’elle évolue du début à la fin dans la stratosphère) magnifiées, que dis-je transcendées, par la production over the top de Dave Fridmann. Qui nous ressort ici ses plus beaux atouts : cordes from heaven, batteries et cymbales péplumesques from les entrailles de la terre, flûtes graciles, choeurs danny elfmanesques. Un producteur qui sait quand sortir l’artillerie lourde mais qui sait également quand laisser respirer ses protégés. Du travail d’orfèvre. Le dernier titre, modèle de pop ascensionnelle aux « hallelujahs » plus qu’appropriés semble avoir été composé pour illustrer le mot « apothéose ».

Ce disque bénéficie d’une petite aura, il a été salué à sa sortie mais je pense qu’il est encore assez largement méconnu et c’est dommage.