La bonne observatrice

Au Mac Do relativement bondé, je dois m’installer à côté de 2 jeunes filles mignonettes et sages, prototypes des toulousaines étudiantes à l’école de commerce toute proche.

La première est extrêmement bavarde et donne un peu l’impression de saouler sa copine. Elle examine plusieurs opportunités d’emploi qui s’offrent à elle et elle est très indécise :

– Je sais pas quoi faire du coup tu vois hi hi.
– Ben je sais pas, tu fais ce que tu veux.

Ce genre-là.

Soit dit en passant, il y a donc en France en 2017 des gens qui ont encore le choix dans le poste qu’ils vont occuper et la société qu’ils vont intégrer.

Bon, toujours est-il que l’autre est manifestement déjà en poste dans une entreprise de cosmétologie. L’une des opportunités qui s’offrent à sa copine (dont je commence à douter qu’elle soit vraiment sa copine) requiert d’être « à l’aise avec les chiffres », ce qui l’inquiète voire la refroidit un peu. Elle lui explique donc :

– Non mais ça tu sais, c’est rien à mon avis ça veut juste dire savoir lire les stats. C’est un logiciel qu’on utilise chez SVR et qui te permet de savoir que tel produit a fait tel pourcentage de progression. C’est tout simple et c’est hyper pratique. Mettons tu veux savoir les chiffres de vente de tes produits euh… je sais pas… euh…

Là elle cherche un exemple en agitant un peu les mains et regarde dans ma direction.

– Euh, tes… tes produits anti chute de cheveux par exemple. Ben t’as tous les résultats en 2 clics.

La merdeuse.

Et là tu te dis : « Ha ha il a dû enchaîner avec une brillante répartie qui l’a insidieusement remise à sa place tout en révélant en sourdine ce sens de l’auto-dérision qui fait de lui ce middle-aged man irrésistible ». Et tu as raison, c’est exactement ce qui s’est produit. 10 minutes après, dans ma tête.
Sur le coup je me suis contenté de terminer mon menu Mc City (celui à 4€95) et d’enchaîner avec un Mc Flurry M&M’s. Ce dernier n’était pas prévu mais après cet incident, j’ai eu besoin de me reconstruire.

Tous les matins

Il y a ce couple de jeunes gens un peu enrobés, un peu lourds, qui discutent toujours beaucoup en se souriant mutuellement. Ils avaient tous deux les cheveux assez longs et les ont désormais tous les deux raccourci. Ils ont l’air très complice. Je les aime bien.

Il y a cette femme d’âge moyen, toujours apprêtée, maquillée, qui marche d’un pas lent et robotique, les bras ballants le long du corps, le regard totalement vide. Un jour que j’étais un peu en retard, vers 9h15, je l’ai vue en train de discuter avec un homme à la terrasse d’un café, volubile, l’œil vif. Complètement transformée. Sur la table devant elle, un verre de vin blanc.

Il y a cette autre femme d’âge moyen qui se balade quasiment toujours les bras nus. En hiver, quand je suis frigorifié sous mon bonnet et mes 4 couches de vêtements, elle porte un petit cardigan en laine.

Il y a ce petit monsieur qui a toujours l’air un peu soucieux, les sourcils froncés et le front plissé, il marche toujours d’un bon pas. Lorsque je le croisais au début (il y a quelques années), il ne fumait pas. Maintenant il a une cigarette entre les doigts dès avant 9h. Une ou deux fois par semaine, il porte un sac de sport (tennis), ça me rassure. Un jour que je marchais avec une collègue, ils se sont gentiment dit « bonjour » quand on s’est croisé. Je lui ai demandé si elle le connaissait, elle m’a répondu que non, elle le croisait simplement tous les jours ou presque. Je me suis senti un peu honteux.

Il y a parfois des gens qui font du tai chi

Il y a cette jeune femme au regard un peu triste qui vient de déposer son enfant à la crèche d’à côté. Je me demande si c’est son regard habituel ou si elle a des soucis.

Il y a cette jeune fille qui est systématiquement au téléphone. Avec sa mère ? Sa sœur ? Son copain ? J’aimerais bien savoir. Elle a son téléphone dans la main gauche mais posé sur son oreille droite, c’est pas très pratique. D’autant qu’à son bras droit pendouille un lourd it-bag. A chaque fois je suis à 2 doigts de lui dire que c’est vraiment n’importe quoi mais évidemment je me retiens sans mal.

Il y a cette autre jeune fille toujours très bien habillée, à l’allure distinguée voire un peu hautaine. Un jour qu’elle parlait au téléphone, j’ai entendu son hénaurme accent toulousaing.

Il y a ce jeune papa qui emmène son fils dans sa poussette, je le vois grandir petit à petit. Le papa a toujours un casque sur les oreilles et il semble faire peu de cas de son enfant.

Il y a ce couple très Jeunes Républicains ou En marche !, toujours habillés de façon visiblement un peu dispendieuse et jamais de la même manière. Ils marchent toujours très vite, soucieux de ne pas rater le début de ce que j’imagine être un cours de droit ou d’économie. Ou pire, le début d’une journée de travail dans une banque. Je les aime pas.

Rencontre avec Riad Sattouf

La rencontre-dédicace avec le public toulousain avait lieu dans l’excellent librairie Ombres blanches.
Alors que la modératrice  s’apprête à véritablement lancer la discussion après une présentation d’usage, Riad Sattouf l’interrompt: « Ah y a une question là devant… Oui, monsieur? »

Un type un peu âgé prend la parole:

– Alors moi je voyage un peu partout dans le monde et comme vous, l’un de mes premiers souvenirs de bd, c’est la lecture de Tintin quand j’étais enfant. Et une des choses que je fais tout le temps, comme je voyage dans tous les pays, c’est que je ramène à mes enfants un exemplaire traduit dans la langue du pays dans lequel je suis allé. Comme j’ai fait le tour du monde voyez-vous, j’ai pu accumuler tous les exemplaires traduits. Et donc je voulais savoir si LArabe du futur était également traduit dans d’autres langues.

Sattouf répond poliment que oui, les 3 premiers tomes ont été traduits dans 18 pays. « Poliment » car en réalité, la modératrice nous avait donné l’information 3 minutes avant lors de sa présentation de l’auteur. Il explique ensuite que c’est une petite fierté pour lui que de faire figurer en page de garde la liste des pays/traductions de son ouvrage, tout comme le faisait Hergé.

– Mais je pourrai donc ramener un exemplaire dans chaque langue? relance le type
– Oui c’est ça, ils sont traduits.
– Et ils sont traduits dans quelle langue?
– Ah ben ça vous le verrez par vous-mêmes dans la bd…
– Ah très bien, je vais regarder ça.

« D’accord, faisons comme ça. »

Ca démarrait donc assez fort.

Trêve de raillerie(s), c’était super. Je tiens Riad Sattouf pour l’un des esprits les plus drôles, brillants et sensibles de sa génération, et il s’avère qu’ « à l’oral », il est égal à ce qu’il transmet dans ses œuvres : intelligent, fin, drôle, accessible. Il est très à l’aise, répond avec précision et exhaustivité aux questions qui lui sont posées, se répand volontiers en anecdotes très drôles/touchantes.

Preuve qu’il a désormais franchi un palier et atteint une dimension de all star de la bande dessinée, la salle était pleine comme un œuf : quelques geeks, quelques quadragénaires dans mon genre (lequel? à toi de voir), beaucoup de personnes relativement âgées qui l’ont manifestement connu grâce à L’Arabe du futur.

Le tome 3 est sorti il y a déjà plusieurs mois (le tome 4 est prévu pour Novembre), cette rencontre avait lieu à l’occasion du 2ème tome des Cahiers d’Esther, son recueil de planches réalisées chaque semaine pour L’Obs

Il a donc expliqué comment il procédait, comment « Esther » (ça n’est évidemment pas son vrai prénom) accueillait sa captation et son interprétation des histoires qu’elle lui raconte (spoiler : elle s’en fout) etc etc.

Super moment. En revanche, et à mon grand regret, son retour au cinéma n’a pas vraiment l’air d’actualité : il a été plus qu’échaudé par l’insuccès du pourtant génial Jacky au royaume des filles.

Avertissement 3

La traditionnelle mise à jour des expressions dont l’utilisation me donne envie d’énucléer des chatons orphelins. Il va sans dire que tout lecteur qui en serait utilisateur, même régulier, est exempté de mon courroux.

Belle personne : la jurisprudence Les petits mouchoirs n’a eu aucun impact sur cette expression désormais utilisée aussi bien par Les anges de la télé-réalité, que ta mère ou ton collègue d’open space. A noter que son contraire (« individu de merde« ) est lui tout à fait acceptable.

Sortir de sa zone de confort : surtout quand ça s’applique à des domaines aussi essentiels que la culture, la mode ou l’alimentation (« je t’assure, tu devrais sortir de ta zone de confort et te mettre au lait de soja »). Variante : se mettre en danger (« et quand j’ai dû choisir une nouvelle écharpe, j’ai senti que c’était le moment de me mettre en danger : je l’ai prise en gris »).

Pousser une info/un mail : à chaque fois, je visualise mon interlocuteur en train de déféquer la dite info/le dit mail.

Proactif : un des innombrables et insupportables vocables du monde de l’entreprise ayant malheureusement dépassé les limites de l’espace photocopieuse. L’honnêteté me pousse à avouer que je l’ai un jour utilisé sans m’en rendre compte et que je le vis très mal.

Valider : idem. Et idem je l’ai déjà utilisé instinctivement, la hchouma.

La hchouma. Et merde…

Ca, c’était avant

J’dis ça, j’dis rien

Continuons à être vigilants.

J’aime beaucoup Bulgari mais c’est un peu cher

Dans le wagon IDTGV Toulouse-Paris (IDTGV dans lesquels les employés du wagon restaurant sont désormais des « baristas »). A Agen, deux grandes bourgeoises s’installent juste devant moi. L’une d’elles a carrément fait péter le trois rangs : je me demande même ce qu’elles foutent là au milieu de la plèbe.

– Cette fois j’ai pris Marie-Claire, ça ne t’ennuie pas?
– Non c’est parfait
Elle aussi j’aime bien, y a des recettes de cuisine
– Oui, Elle ça va. Ce que je supporte pas c’est Biba. C’est mal écrit, c’est… vulgaire.
– Oui, Elle tu sens quand même une certaine ligne éditoriale
Elle Décoration est très joli aussi
– Oui, très joli, Elle Cuisine aussi, je vais m’abonner je crois.

Bon, elles s’installent après moult atermoiements liés au rangement des valises, manteaux, écharpes etc, « et j’ai pris des fruits, tiens, je me suis dit, c’est bien les fruits, je vais les sortir ».
Ensuite elles lisent donc le Marie-Claire ensemble, en roue libre, commentant tout et n’importe quoi, ne s’écoutant pas toujours.

– Oh c’est joli ça!
– J’ai acheté une très jolie veste. Parce que bon je…
– Ce que j’aimerais faire rapidement c’est aller à Londres pour aller à la Tate tu vois…
– Ah ça c’est des très bons chocolats mais un peu acides.
– Oui comme le café qu’on avait pris tu sais…
– Oui non mais je comprends qu’il y ait des gens qui aiment d’autres saveurs hein.
– C’est une belle femme ça…
– Et une belle personne me suis-je laissé dire!
– Tiens ça me rappelle une séance photo qu’avait faite Marion. Elle avait mis des talons vernis, un peu hauts, un peu… sexy tu vois, et son talon était enfoncé dans un éclair haha
– Ah oui ouh la c’était un peu… Un peu… quand même…
– Tu vois, j’aime beaucoup Bulgari mais c’est un peu cher
– Oh la la Trump… J’en ai ras la casquette de cette histoire !

Là je me dis qu’on en a encore pour 4h et que c’est trop beau, que ça va être la grosse régalade. Que c’est pas un billet que je vais pouvoir écrire mais une saga.
C’est alors que déboule un contrôleur qui leur demande de la mettre en veilleuse parce que nous sommes dans le wagon IDTGV qui est « réservé au calme et aux voyageurs qui souhaitent préserver une atmosphère tranquille ».

Salaud.

OKLM

Toujours dans le parc à côté du bureau. Je marche derrière un lycéen qui parle au téléphone :

– T’es où?

– blablablablablabla

– Mais vas y, on devait se retrouver au jardin japonais hhhhhheeeeeeeeurrrrrrh (là il faut entendre ce son à la fois fluet, rauque et incertain qui chez l’adolescent en phase de mue fait office d’éclat de rire)

– blablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablabla

– hhhhhheeeeeeeeurrrrrrh ça te fait marrer toi

– blablablablablablablablabla

– Mais elle dit quoi la prof ?

– blablabla

– Vas y dis lui que j’arrive alors

– blablablablablabla

– Dis lui je suis au jardin japonais. J’arrive, dis lui que je suis au jardin japonais

– blablablablablablablablablablablabla

– Tu veux dire elle s’en bat les couilles?

– blablabla

– Ah elle s’en bat les couilles alors hhhhhheeeeeeeeurrrrrrh

– blablablablablabla

– Bah vas y dis lui j’ai eu un problème, je vais au Mac Do

– blablabla

– J’ai trop la dalle, je vais au Mac Do

– blablabla

– Ouais à plus

Là il fait demi-tour pour aller au Mac Do. Et donc, si j’ai bien compris, son pote répond au téléphone alors qu’il est déjà dans la salle et en présence de la prof.
C’est dur parfois la jeunesse mais pas tout le temps quand même.

La séance de psy

Durant ma pause déjeuner, dans le jardin public attenant à l’immeuble de mon bureau. Sur le banc en face du mien, une jeune femme (autour de 25 ans), raconte un peu tout et n’importe quoi à sa collègue plus âgée (autour de 45 ans). Je sais, enfin, je me doute qu’elles sont collègues car je les croise régulièrement durant mes pauses, généralement au sein d’un petit groupe très hétérogène quoi qu’exclusivement féminin : je les vois bien bosser dans une administration quelconque, elles pullulent dans le quartier. Mais c’était la première fois que je les voyais déjeuner toutes les 2.

Y avait trop de choses, trop d’informations, trop de punchlines pour un compte-rendu live de leur discussion, d’autant que cette dernière a duré plus d’1h (elles étaient déjà là quand je me suis installé, et je suis parti avant elles).
La plus jeune, la Candide, enchaînait manifestement les aventures foireuses avec des gars sûrs (« mais là tu vois, j’ai plus eu de nouvelles du jour au lendemain parce qu’il était parti s’engager dans l’armée » ou « un jour il m’a dit « je tiens à toi mais j’ai pas de sentiments pour toi » « ). Aventures foireuses que la plus âgée, la Sage, écoutait goulûment avant de livrer un diagnostic définitif et plein d’assurance (« mais ça tu vois c’est parce sa mère a pas été assez attentive à lui quand il était dans son ventre » ou « ah mais ça c’est les gémeaux ça, il est gémeaux non? c’est compliqué les gémeaux, ça c’est sûr »).

Je regrette vraiment de pas avoir eu le temps ni l’opportunité de noter quoique ce soit car c’était une mine cette discussion. Mais la Candide était sur ses gardes, elle arrêtait pas de me jeter des regards en coin. J’avais pourtant adopté mon attitude la plus détachée derrière mes lunettes de soleil, mettant un point d’honneur à prouver à ma salade composée qu’elle et elle seule était l’objet de mon attention.

Au bout de la 4ème histoire de merde, la Sage avait quand même l’air d’en avoir un tout petit peu ras le cul :

– C’est un mec qui faisait du basket mais tu vois, il m’en avait jamais parlé tu vois, c’est comme s’il était…

– Non mais tu sais, je vais te dire une chose (en lui prenant le bras) : les mecs sont LÂCHES.

– Ah ouais ?

– Mais oui, je t’assure : les mecs sont LÂCHES.

– Ah ouais… Ouais ouais non mais t’as raison en fait, c’est ça, ils sont lâches.

Bon tout ça pour ça quoi. Elle m’aurait posé la question, je lui aurais donné la réponse direct.

La jeunesse

Hier midi, et comme souvent aux beaux jours, j’ai déjeuné dans le parc qui jouxte mon lieu de travail. J’étais d’humeur un peu mélancolique, avec en tête le superbe thème du film CQ composé par Mellow. J’avais à peine commencé à manger, deux adolescents se sont assis sur le banc à côté du mien. Ils ressemblaient en tous points à ce qu’on a pris coutume de désigner par les mots « geeks » ou « nerds »: grands et très minces, dans un style davantage dégingandé que longiligne, pas très beaux, pas de coupe de cheveux cool, des fringues (bermudas/t-shirts/baskets) pas très cools non plus. Ils avaient vraiment l’air de deux enfants grandis trop vite et d’un seul coup.

Après le débrief amusé d’un épisode survenu lors d’un des cours de la mâtinée et auquel je n’ai pas prêté attention, ils se sont lancés dans une discussion intense dont j’ai mis du temps à comprendre le sujet. J’avais un peu l’impression de me trouver à nouveau devant la magnifique scène de Gerry durant laquelle, à la lumière de leur feu de camp, Casey Affleck explique à Matt Damon qu’il est devenu roi : on déduit au bout d’un long moment seulement qu’il parle en réalité d’un jeu video.

Là c’était un peu pareil: il m’a fallu du temps avant de comprendre que mes jeunes voisins parlaient en réalité de ce qui les attendait au cours de leur année scolaire. Ca discutait avec virulence « modules », « pourcentages », « nomenclatures », « addition » mais ça n’est que lorsque les mots « admission » et « rattrapage » ont été introduits que j’ai pu tout mettre dans le bon sens. Ca avait vraiment l’air très compliqué pour eux d’avoir leur année (j’ai compris en même temps que contrairement aux apparences, ils n’étaient pas lycéens mais étudiants, en 1ère année j’imagine), il allait falloir jongler savamment entre les différents modules et coefficients pour ne pas se planter et redoubler. Ils en sont sans doute seulement à leur 2ème semaine de cours, au mieux, mais ils apparaissaient déjà très soucieux. Il faisait très chaud, comme quasiment tous les jours depuis plusieurs semaines et plein de jolies filles/femmes légèrement vêtues passaient devant nous mais ils n’y prêtaient absolument aucune attention (eux) : apparemment ça déconne pas trop dans le cursus qu’ils ont choisi, faut pas perdre l’objectif de vue une seule seconde.

Ils ont ensuite un peu discuté basket (« moi j’ai un pote il fait 2m10 mais il en met pas une, la taille ça a rien à voir avec l’adresse » vs « moi j’ai un pote il fait 1m80, eh ben il sait dunker »).
Alors que leur discussion touchait à sa fin, un petit groupe de jeunes garçons du même âge avançait dans notre direction. « Du même âge » mais ceux là étaient mieux gaulés, mieux habillés, plus beaux, certainement plus confiants. Alors qu’ils passaient devant le banc des deux geeks, l’un d’eux s’est un peu écarté du groupe pour serrer la main de celui qu’il venait manifestement de reconnaître.

– Salut.

– Salut.

– Eh, c’est à 2 heures la réunion hein !

– Ouais, ouais, c’est bon, on fait une petite balade là.

Il a prononcé ces mots alors qu’il s’éloignait déjà et sans se retourner. C’est à dire qu’il s’est écarté du groupe pour serrer la main du geek mais n’a jamais daigné lui jeter un seul regard. Il l’a simplement salué par obligation, mécaniquement, en souvenir, sans doute, d’une complicité ou en tout cas d’une relation, passée. Les deux geeks sont ensuite restés silencieux un long moment. Celui qui avait été salué par le « beau gosse » avait l’air triste : si ça se trouve ils avaient été très proches par le passé. Ou ils faisaient partie de la même famille (cousins par exemple) ? C’est ce que j’en ai déduit en tout cas et ça m’a fait de la peine pour lui.

Au bout de quelques instants, ils se sont enfin levés pour partir: 14h approchait, c’était l’heure de « la réunion ».

C’est dur, parfois, la jeunesse.

La bouteille d’eau

Discussion entre collègues dans la cuisine du bureau durant la pause déjeuner :

– Ouais… Pas super 2016 pour l’instant. Ma grand-mère, le fils de mon amie…

– Ah mais oui, c’est vrai, je voulais te demander ce qui s’était passé finalement !

– Ben on l’a enterré y a 10 jours…

– Oh la la… Et on a su ce que c’était ?

Là ma collègue explique que le fils de son amie, 6 ans, a été diagnostiqué en janvier comme souffrant d’une maladie génétique rarissime et dégénérative, sans traitement ni guérison possible. Il était condamné dès le départ, il est parti en 6 mois. L’horreur absolue, indicible, le cauchemar de tous les parents…
Alors que nous sommes tous (une demie-douzaine) en train de l’écouter attentivement, un peu graves bien entendu, voire sincèrement choqués, l’autre collègue, celle qui s’enquerrait de la situation, s’écrit devant la porte du frigo ouverte et en plein milieu du récit :

– QUELQU’UN A PIQUE MA BOUTEILLE D’EAU ! Y A PLUS MA BOUTEILLE D’EAU DANS LE FRIGO !

Bon, elle a beau être extrêmement égocentrique, là, devant le silence teinté de malaise qui a suivi, elle a quand même compris qu’elle avait un peu merdé: on l’a plus entendue de tout le repas.

Je suis pas Mac Gyver

Nos fenêtres respectives ouvertes, la conversation au téléphone d’un jeune homme dans l’immeuble d’à côté :

– Je la harcèle pas. Je la harcèle pas. La harceler, c’est 2 ou 3 coups de fils à la suite. Là j’ai laissé un message, c’est pas la harceler ça, je suis dans mon droit.

– blablablablabla

– J’ai le droit de faire ça, c’est pas la harceler…

– blabla

– Elle est moche elle est moche, qu’est-ce que tu veux que je te dise…

– blablablablablablablablablablablablablablabla

– Ah ben j’vais te dire, j’ai de la marge par rapport à elle hein.

– blabla

– Ben c’est de la faute de ses parents alors, c’est à eux que je dois le dire peut-être.

– blablabla

– Mais elle a que ce qu’elle mérite je te dis moi et…

– blablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablabla

– Mais je suis pas courageux ! Je suis pas courageux ! Je suis un lâche moi hein, je suis pas… Mac Gyver.

– blablablabla

– Eh bé moi je suis lâche dans la vie.

– bla

– Et j’assume, je l’assume.

– blablablablablablablablablablablablablablabla

– D’accord mais JA-MAIS j’aurais pensé entendre ça sur ma messagerie en sortant du bureau et…

– blablablablablablabla

– Eh ben si elle dit « non » je conclurai par « sale pute » et puis voilà.

– blablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablabla

– Mais si elle fait ça je vais chez elle, et je la brûle, voilà.

– blablablablabla

– Mais j’en ai marre moi et… ok au revoir. Au revoir.

 

L’autre jour j’ai raté la suite de la conversation, cette fois, le début. C’est vraiment frustrant à force.