À plus de 80 ans, Earl Stone est aux abois. Il est non seulement fauché et seul, mais son entreprise risque d’être saisie. Il accepte alors un boulot qui – en apparence – ne lui demande que de faire le chauffeur. Sauf que, sans le savoir, il s’est engagé à être passeur de drogue pour un cartel mexicain. Extrêmement performant, il transporte des cargaisons de plus en plus importantes. Ce qui pousse les chefs du cartel, toujours méfiants, à lui imposer un « supérieur » chargé de le surveiller. Mais ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à lui : l’agent de la DEA Colin Bates est plus qu’intrigué par cette nouvelle « mule ». Entre la police, les hommes de main du cartel et les fantômes du passé menaçant de le rattraper, Earl est désormais lancé dans une vertigineuse course contre la montre… (Allociné)
Difficile de parler de ce film de manière un tant soit peu objective… C’est d’autant plus difficile qu’Eastwood lui-même a manifestement voulu emmener La Mule vers un terrain éminemment personnel et donc subjectif qui disqualifie pour ainsi dire une analyse critique rigoureuse. Alors je vais évacuer le truc d’emblée parce que c’est pas le plus important, loin s’en faut: La Mule est un gentil polar arthritique, classique et sans suspense, mal fagoté dans son versant purement thriller, qui ne vaut que pour sa tonalité tour à tour malicieuse et émouvante, ainsi que pour son caractère testamentaire. Pour Clint, donc, on en revient toujours là.
Au-delà du statut légendaire et de la statue de Commandeur du Cinéma Américain qu’il incarne désormais pour à peu près tout le monde, j’ai noué avec Eastwood une relation particulière (j’allais dire intime avant de me raviser mais oui, intime).
Le Bon, la Brute et le Truand est le premier « vrai » film que j’ai vu au ciné (j’utilise des guillemets car avant lui, il y avait eu des films d’animation). Il me fit forte impression (panoplie improvisée à base de chapeau et pseudo poncho le lendemain du visionnage) et Clint, que je me suis rapidement mis à appeler « Clint » (« y a le nouveau Clint qui sort mercredi » ou « y a un Clint ce soir sur la 3″, indépendamment du fait que ce soit lui ou un autre qui réalise) est devenu une figure familière, centrale pendant une longue période, de mon univers culturel et fantasmagorique : avec le regain d’intérêt pour les super-héros depuis les nombreux films Marvel sortis ces dernières années, les gamins d’aujourd’hui veulent probablement être Spiderman ou Iron Man etc, moi je voulais être Clint.
Ses films ont acquis une véritable reconnaissance critique au moment où j’entrais à la fac : avant ça, certes, la France lui avait déjà décerné le statut d’auteur (avec Pale Rider on va dire, en 1985) mais il fallait encore se battre quand on se prétendait cinéphile ET fan d’Eastwood. Mais au début des années 90, le vent tournait, c’est indéniable et à la fin d’une décennie qui le voyait enchaîner Impitoyable, Un monde parfait, Sur la route de Madison, Les Pleins pouvoirs, Minuit dans le jardin du bien et du mal, excusez du peu, je lui ai consacré 2 mémoires universitaires (l’un d’eux est resté inachevé).
Et si depuis 20 ans, l’âge adulte aidant, je ne le regarde plus lui ni ses films de la même manière, que j’ai pris un peu de distance, par la force des choses, il reste mon héros cinématographique absolu, mon plus grand héros tout court. C’est aussi simple que ça.
Pourquoi je raconte ça ? Eh bien parce qu’il est selon moi absolument impossible pour quelqu’un d’un tant soit peu familier avec la figure de Clint Eastwood, de visionner La Mule sans projeter ce qu’il représente pour nous. Et l’émotion ressentie, le plaisir pris devant ce film mineur, voire raté par bien des aspects, sont proportionnels à ce qu’il représente pour nous, aux souvenirs que la simple apparition de sa silhouette plus dégingandée que jamais font surgir.
Tu comprends qu’à côté de ça, la description caricaturale du cartel mexicain, les raccourcis hallucinants dans l’enquête de la DEA, ne pèsent pas lourd. On connaît la rapidité d’exécution (en tournage et à l’écran) d’Eastwood, sa manière, incomparable, de fluidifier le récit, de couper tout ce qui lui paraît superflu sans que la narration en pâtisse. De faire preuve, aussi, parfois, d’un sympathique jem’enfoutisme quant aux aspects d’un film auxquels il n’attache que peu d’importance. La Mule en est un parfait exemple: c’est l’un des films dans lequel il a mis le plus d’éléments personnels (i.e. de sa vie personnelle) et c’est donc le portrait/l’auto-portrait du personnage principal qui intéresse Clint ici, pas le thriller. Plus concrètement La Mule raconte l’histoire d’un homme (et cet homme, c’est donc Eastwood lui-même) qui essaie comme il le peut de se racheter auprès des siens (son ex-femme, sa fille , interprétée par sa propre fille, Alisson), après avoir fait passer son travail et sa satisfaction personnelle avant tout. Il convient ici de rappeler que le titre original d’Impitoyable est Unforgiven, « impardonné »…
Et c’est touchant, bien sûr, d’autant plus lorsqu’on connaît un peu sa vie privée et la façon dont il a mené sa carrière. Mais même ça, on s’en fout au fond… Bordel, ça faisait 10 ans qu’on l’avait pas vu à l’écran le Clint ! Bon, ok, 6 si on compte Une nouvelle chance dans lequel il faisait simplement l’acteur aux côtés d’Amy Adams et Justin Timberlake. Mais 10 ans depuis Gran Torino, dans lequel, faut-il le rappeler, il s’était filmé dans un cercueil (voir la manière incroyable encore ici qu’il a de filmer la mort de près…). Il a 89 ans putain… Le simple fait de le voir souriant, vanner en espagnol ses employés ou nouveaux « collègues » mexicains, chanter des vieux standards de jazz au volant de sa bagnole (les meilleures scènes, quand il taille la route pépère), pfiou… Il est fatigué bien sûr, il a du mal à se déplacer, normal, sa voix est passée de « douce » à « faible » mais qu’est-ce qu’il est beau, et qu’est-ce que c’est beau de le voir à nouveau à l’écran… La Mule, polar arthritique, auto-portrait malicieux et touchant d’un vieil homme au bout de sa vie, c’est avant tout (sans doute) la dernière fois qu’on voit Clint Eastwood à l’écran. A côté de ça, la valeur objective du film hein…