Peu de temps après les événements relatés dans Split, David Dunn – l’homme incassable – poursuit sa traque de La Bête, surnom donné à Kevin Crumb depuis qu’on le sait capable d’endosser 23 personnalités différentes. De son côté, le mystérieux homme souffrant du syndrome des os de verre Elijah Price suscite à nouveau l’intérêt des forces de l’ordre en affirmant détenir des informations capitales sur les deux hommes…(Allociné)
« Nouveau Spielberg« , « nouveau Hitchcock« , « maître du suspense », « roi de l’esbroufe », « génie de la narration », « manipulateur cynique », « über geek surestimé » : peu importe au fond qu’on l’aime ou qu’on le conchie, le plus important n’est pas là. A l’instar de Quentin Tarantino un peu plus tôt, de Wes Anderson à peine plus tard et de Christopher Nolan aujourd’hui, M. Night Shyamalan fait partie de ces cinéastes-stars dont la figure est devenue presque plus imposante que leurs films. Des cinéastes qu’on aime ou qu’on conchie donc, qui laissent rarement indifférents quoiqu’il en soit, et qui savent rencontrer à la fois le public, la critique, et, c’est une donnée essentielle aujourd’hui, la geekosphère, cette nouvelle Haute Autorité du Cinéma.
Qu’on aime ou qu’on conchie Shyamalan, le plus important n’est pas là. Comme Tarantino, il a contribué à évangéliser toute une génération de cinéphiles, à en décider un bon nombre certainement à franchir le pas de la création. Et à faire ce qu’on aime parfois plus que les films eux-mêmes: en parler. Voilà quand même un type dont le film qui a contribué à le révéler (Sixième sens) a été non seulement largement vu, discuté et disséqué, mais tout aussi largement revu, à dessein, pour en examiner la mécanique cinématographique, pouvoir échanger les points de vue, s’en émerveiller ou à l’inverse les descendre en flamme. Quels cinéastes contemporains peuvent se targuer de ça ? (évidemment, je parle de cinéastes qu’on peut qualifier de « grand public », pas des cinéastes-auteurs dont les œuvres sont, ou seront étudiées par des spectateurs cinéphiles hardcore).
Dans la catégorie film-meta-hyper-théorique-sur-lequel-les-forums-de-discussion-vont-se-pignoler-pendant-des-mois, Glass est un modèle du genre : pénible, voire médiocre, dans ses 2 premiers tiers, il ne semble exister que pour son dernier acte, brillant, jouissif, qui délivre enfin sa promesse de bouclage de trilogie et de vrai-film-de-super-héros-réel-de-la-vraie-vie en prolongement de l’indépassable Incassable.
Un tiers de film réussi seulement, ça signifie que deux tiers sont ratés: il faut donc parler de ce qui cloche. Jusqu’à ce dernier tiers excitant, de longues scènes de dialogue inutiles, des face-caméra systématiques (sans déconner on se croirait chez Eugène Green), du suspense mal géré. Le montage est bancal, poussif, parfois incompréhensible. Shyamalan donne un peu l’impression de raccrocher les wagons au petit bonheur la chance : évidemment, sur l’essentiel i.e. ce qui donne une cohérence à sa trilogie, ça marche, et on trouve ça brillant mais c’est parfois un peu superficiel, un peu smartass (son caméo par exemple, totalement gratuit et inutile, d’autant qu’il joue toujours aussi mal). A sa décharge, il était prisonnier d’un impératif: faire comprendre à ceux, nombreux il semblerait, qui se demandaient à la fin de Split ce que Bruce Willis pouvait bien foutre là… eh bien ce qu’il foutait là.

Surtout il laisse beaucoup trop de place au numéro de James McAvoy. A raison sans doute, si on se place du point de vue de l’entertainment strict et du give the people what they want car le public de ma séance ronronnait de plaisir à chacune des performances éclairs du sosie écossais de Mesut Özil. OK, oui, c’est bien, il est impressionnant (y compris physiquement) mais c’est lassant. Le souci c’est qu’on n’a pas le sentiment que Shyamalan soit tombé amoureux de son personnage ou de son acteur, simplement qu’il s’attarde sur lui de manière un peu cynique, sans que le récit l’exige, dans le seul désir de contenter les spectateurs.
Enfin, et je vais un peu me répéter, la nécessité, qu’il s’est imposé lui-même, de construire et achever une trilogie, se manifeste aussi de manière un peu volontariste: Incassable était centré sur David Dunn (Bruce Willis), Split sur Kevin Crumb (James Mc Avoy), le « héros » de Glass, et donc de la trilogie en somme, sera Elijah Price (Samuel Jackson) ce qui oblige Shyamalan a faire du super-villain le maître du jeu (soit dit en passant, coucou l’auto-portrait puéril et mégalo qu’il fait de lui de manière assez transparente). Bon ok, effectivement ça fonctionne, en tout cas il parvient à retomber sur ses pattes. Toutefois, et là, c’est très perso mais bordel, je peux pas valider ce qu’il fait du magnifique personnage de David Dunn, l’un des plus beaux du cinéma américain de ces 20 dernières années, et je veux pas spoiler donc je m’arrête là. Mais merde Manoj, t’as pas le droit. Encore une fois, c’est très perso: je tiens Incassable pour l’un des plus beaux films de ces 20 dernières années. Pourtant, en mettant mes sentiments personnels de côté, je ne comprends pas comment on peut livrer (dans Incassable) une telle vision moderne, sensible, humaine et humaniste de la figure du Héros pour en arriver à ça…
On peut le lire ici ou là: Shyamalan déjoue les attentes du spectateur, le fait languir avant de lui donner ce qu’il attendait (de la pop mythologie! des twists! des meta-twists! des whaou-bordel-de-merde-il-a-vraiment-pensé-à-tout !). J’ai lu des choses passionnantes sur le film, sa signification, sa place dans la filmographie du réalisateur. Je vais à peine extrapoler à partir des interprétations les plus radicales: Shyamalan aurait volontairement réalisé 2/3 de mauvais film, aurait volontairement enfilé ses gros sabots, nous endormirait volontairement avant de nous éblouir de sa maestria. Purée… Est-ce qu’on aurait pas atteint un genre de point Godwin de l’analyse critique là ? En d’autres termes, est-ce qu’on serait pas en train de faire le boulot à la place de Shyamalan ? De donner à son film une valeur et une portée inespérée, ne reposant que sur ce qu’on pense et non ce qu’on voit? Désolé les geeks, je crois que les choses sont beaucoup plus simples que ça: pendant quasiment 1h30, Glass est simplement raté. On peut parfaitement brouiller les pistes, balader son public, l’endormir même mais si on maîtrise réellement son sujet, on le fait en maintenant son intérêt, en usant d’une grammaire cinématographique cohérente et, encore, maîtrisée.

Définitivement, « le plus important n’est pas là ». Peu importe qu’on aime ou qu’on conchie Glass: avec ce film, M. Night Shyamalan retrouve sa nature profonde et essentielle de prestidigitateur prodige. Il redevient entièrement ce type qui nous éblouit, nous bluffe (à des degrés divers) et surtout nous fait nous questionner sur ses trucs de magicien. Des trucs plus ou moins visibles, plus ou moins épatants. Pari gagné donc, et il a par la même occasion gagné le droit de paraphraser Flaubert et de proclamer « Elijah Price, c’est moi ». Tour de magie ultime : il est parvenu à nous faire croire qu’il y en a alors qu’il s’est simplement pris les pieds dans le tapis.
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