À Los Angeles, Sam, 33 ans, sans emploi, rêve de célébrité. Lorsque Sarah, une jeune et énigmatique voisine, se volatilise brusquement, Sam se lance à sa recherche et entreprend alors une enquête obsessionnelle surréaliste à travers la ville. Elle le fera plonger jusque dans les profondeurs les plus ténébreuses de la Cité des Anges, où il devra élucider disparitions et meurtres mystérieux sur fond de scandales et de conspirations. (Allocine)
A chaud (je l’ai vu hier), et sachant que c’est un film-labyrinthe, ou un film-oignon, dont il faut (ou plutôt dont « on peut », si on le souhaite), enlever pas mal de couches avant d’atteindre son cœur, ou son essence, mais, encore une fois, libre à chacun de le faire puisqu’on peut tout aussi bien se laisser porter sans chercher à comprendre le pourquoi du comment, un film dense en tout cas, un film qu’il faut laisser décanter un minimum, à chaud donc, petite calotte. Calotette. Plus belle mise en scène de l’année en tout cas, avec le Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, qui a dû quitter son Los Angeles natal et fétiche pour lâcher un peu la bride à son cinéma de petit maître.
Tout juste sorti du succès critique (mérité) de It Follows, David Robert Mitchell s’est lui à l’inverse jeté à corps perdu dans Los Angeles, sa mythologie, sa topographie, sa faune. Comme sur l’affiche, il accompagne son personnage sous les eaux mystérieuses du Silver Lake (dans le district du même nom, résidence actuelle de hipsters, célébrités et membres de la communauté LGBT) pour toucher non pas le fond mais les palmiers emblématiques de la ville. Il/elle coule, et nous avec, vers le cœur de Los Angeles en quelque sorte…
Dès les premières minutes, Under the Silver Lake s’impose donc comme un nouveau film-somme et emblématique de la cité des anges, à l’image de ceux auxquels il se réfère constamment. Et que je ne citerai pas tellement la liste serait interminable…
C’est sans doute ce qui m’a le plus impressionné dans le film: j’ai rarement vu une oeuvre alignant aussi consciencieusement les références et les citations, les accumulant soit par la bande, soit par du name-dropping pur et dur, parvenir malgré tout à trouver son propre ton, absolument singulier. Non mais merde, je vais quand même le dire: le mec (David Robert Mitchell donc) parvient à créer un espèce de gigantesque mash up hitchocko-de palmo-polansko-altmano-lynchien (et j’en passe énormément donc) avec une aisance et une fluidité hallucinantes (le rythme est nonchalant, enveloppant). Un film de fétichiste, pour les fétichistes, qui réussit pourtant à créer un nombre incalculable d’images fortes, à la puissance d’évocation assez dingue. Allez, je vais le dire: à ce niveau là (la puissance d’évocation, la croyance dans l’image), ces dernières années, je retiendrai ce film et la saison 3 de Twin Peaks (je les mets pas sur un pied d’égalité, calme toi, je parle simplement de cet aspect là bien précis).
Under the Silver Lake remplit donc pleinement son cahier des charges « film de pop culture sur la pop culture ». La pop (culture), cet immense entreprise de recyclage permanent, cet éternel champ d’emprunts et de répétition, qui réussit pourtant comme par enchantement à se renouveler et à investir de nouveaux domaines, à trouver de nouvelles formes singulières ou de nouveaux chantres, de nouveaux souffles. Le film saisit et retranscrit ça de manière remarquable.
Mais ce film, aussi beau ou aussi pop soit-il, n’est pas qu’un imagier pour geek ou cinéphile hardcore.
En effet, Under the Silver Lake… bah rien du tout, je préfère ne rien dire. Ou pas grand chose : tu auras lu, peut-être, ou deviné, d’après la bande annonce, que l’intrigue est, peu ou prou, celle d’une enquête qui mène son héros de cercle interlope en personnage excentrique (Andrew Garfield, qu’on a d’abord un peu de mal à imaginer en glandeur t-shirt/slim/Converse mais qui se révèle impeccable, comme toujours), le plongeant dans un Los Angeles qui tiendrait à la fois du Grand Nulle Part (Ellroy) et de Mulholland Drive, du Hollywood de l’Âge d’or et de celui plus azimuté de notre époque. Voir à ce titre la fantastique bande originale de Richard Vreeland aka Disasterpeace, qui elle aussi parvient à conjuguer classicisme et modernité, nous emportant dans des océans de corde tantôt romanesques, tantôt angoissants (coucou Bernard Herrmann). Tout ça est vrai, mais c’est plus que ça (heureusement).
Éminemment contemporain dans sa capacité à la fois à formaliser et à théoriser la pop culture donc, Under the Silver Lake parvient également à saisir le monde de 2018 dans sa dimension à la fois ultra-technologique mais également païenne et décadente, voire apocalyptique: lors d’une soirée un personnage mentionne , une auteur de série prodige (elle a 12 ans…) qui selon lui, est celle qui saisit le mieux le zeitgeist, l’air du temps. David Robert Mitchell n’a plus 12 ans depuis longtemps mais il reste un jeune cinéaste (c’est son 3ème film seulement) et le clin d’oeil m’a paru évident. Difficile d’en dire plus là aussi, je préfère que tu vois le film vierge de tout.
J’étais à la fois très excité, très désireux de le voir ce film mais j’y croyais pas complètement: je pensais la marche trop haute pour David Robert Mitchell (Fenêtre sur cour + Le privé + Le grand sommeil + Mulholland Drive +… +…+ ad lib, vraiment?). Mais non, il est bon le con…
A chaud, encore, il me manque une pointe de romantisme, de romanesque, d’émotion tout simplement pour hisser Under the Silver Lake tout en haut de mon top 2018 mais le film parvient à fasciner, à imprimer durablement la rétine. Qu’est ce que ça fait du bien une telle croyance dans le Cinéma…