Une fois n’est pas coutume, je vais parler d’un sujet important, d’un vrai sujet en somme. Si ça se trouve j’ouvre la porte à des articles sur le gouvernement Hollande, le retour de Sarkozy, le succès d’Eric Zemmour ou pire, LA DETTE (T’as remarqué ? On dit simplement « la dette » et tout le monde comprend qu’il s’agit là de l’enjeu le plus crucial de la France de 2014. « – Ca va, t’as passé un bon weekend ? – Bah non, horrible, j’ai pas arrêté de penser à la dette. »). Grande remise, le blog qui passe à l’âge adulte.
Non je déconne.
Mais j’ai quand même envie de parler rapidement de ce documentaire car il m’a semblé intéressant aussi bien sur le fond que sur la forme.
Pour faire court, le réalisateur, qui se met en scène à la Michael Moore (on pense à lui plus d’une fois) lors de ses rencontres avec les différentes personnes interrogées, entend éveiller les consciences quant aux souffrances infligées au règne animal à l’intérieur notamment des factory farms, ces terribles fermes industrielles ou d’élevage intensif (je résume hein, ça va bien plus loin).
La 1ère partie consiste ainsi en une longue introduction/passage obligé au cours duquel le réalisateur et sa petite équipe tentent de visiter ces fameuses fermes, se heurtent évidemment au personnel/propriétaires, mettent un brin en scène les barrières auxquelles ils font face, enquêtent sur les néfastes conséquences sur l’environnement, sur les terribles conditions de « vie » des animaux eux-mêmes bien sûr etc. Du classique donc.
Un peu plus malin que la moyenne quand même puisque Mark Devries, le réalisateur, entend exposer les méfaits du « factory farming » en prenant le problème à l’envers : il essaie de démontrer en quoi les adversaires du factory farming ont tort. Il n’y parvient évidemment pas et aboutit à une démonstration par l’absurde des plus parfaites puisque la seule personne estimant qu’il est juste ou tout du moins normal de traiter les animaux comme quantité négligeable est… un membre du parti nazi américain (en uniforme le mec, flippant).
De même lorsqu’il recueille des témoignages sur les conséquences, notamment des élevages porcins, sur l’environnement, ils proviennent non pas seulement des babos, écolos et autres alter attendus mais de bons gros républicains bon teint, qui rejoignent ici leurs non-camarades gauchistes dans la défense d’un american way of life « local » et sain en voie de disparition.
Devries se retrouve donc comme il le dit lui même dans une impasse (il narre en voix off) : si rien, absolument rien ne justifie le traitement que nous infligeons aux poules, lapins, porcs et autres bovins afin de remplir nos assiettes (nous savons depuis longtemps que les animaux éprouvent eux aussi de la joie, du chagrin, de la peur, sont dotés d’un sens moral, peuvent faire preuve d’équité ou d’injustice etc), qu’est ce que ça signifie au fond ? Il peut alors se saisir de ce qui constitue le noyau de son film : le concept de « spécisme », encore largement méconnu en Europe il me semble. Allez hop, ça ira très bien ça : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sp%C3%A9cisme
C’est à partir de là que le film franchit un palier et dépasse son statut de salutaire et maligne démonstration militante : Devries creuse à fond le concept de spécisme (et d’anti-spécisme bien entendu), s’appuyant sur les thèses et propos de chercheurs et universitaires, déroulant patiemment et implacablement la façon dont l’Humanité dans son intégralité se rend coupable chaque jour de… crimes contre l’Humanité. Je n’en dirai pas plus : si la conclusion de la réflexion, de l’enquête et du film en lui-même ne manquera pas de faire grincer quelques dents voire soulèvera une véritable indignation (justifiée ou pas, chacun jugera), elle a au moins le mérite d’aller avec un certain courage au bout de sa logique.
Speciesism est ainsi un documentaire un peu à part, au radicalisme patient et patiemment construit qui fait parfois sourire, effraie souvent, remue toujours.
La projection était suivie d’une discussion publique : comme souvent dans ces cas là, des points de vue pertinents, d’autres moins, des raccourcis simplistes, des témoignages signifiants etc.
En début et fin de projection, l’organisatrice (à la tête, si j’ai bien compris, du Mouvement pour la Cause Animale) se félicitait de ce que la salle fut constituée à part quasi égale de végétariens et/ou défenseurs des animaux et de simples curieux « omnivores » (dont je fais partie) mais lorsqu’un jeune mec, assez courageux j’ai trouvé, a fait part de son grand intérêt pour le film mais également d’un certain scepticisme quant aux changements de comportements qu’il appelle finalement de ses vœux, de la difficulté en tout cas qu’il éprouverait lui à adopter des habitudes alimentaires radicalement différentes, il a évidemment commencé à se faire un peu allumer. En gros, ça commençait à partir un peu dans tous les sens (oui, comme la phrase qui précède), je me suis donc cassé.
Mais je conseille vivement ce documentaire à toutes celles et ceux que les questions et enjeux autour de la cause animale et en corollaire de la malbouffe, interpellent.
Attention enfin : contrairement à ce qui est annoncé, il comporte bien quelques images difficiles.