Douleur et gloire – critique

Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner. (Allociné)

Je vais tâcher de faire court car tout a déjà été dit depuis une semaine, et même plus (le film est sorti depuis quelques temps déjà en Espagne) : « chef d’œuvre »… blablabla… « autoportrait »… blablabla… « Palme d’or »… blablabla… « testamentaire »… blablabla… Tout ça est vrai.

Attends… « Chef d’œuvre » ? C’est là que le bât blesse (un peu) pour moi.

Faut dire que je suis un inconditionnel du cinéma d’Almodovar dont je tiens au minimum 4 ou 5 oeuvres pour des films de chevets. Mes attentes sont donc toujours très élevées en ce qui le concerne: outre ce qu’il raconte et la façon dont il le raconte, son propos résonne en moi comme une véritable madeleine de Proust, via les souvenirs d’enfance qu’il distille régulièrement, des clichés de la vie populaire et familiale espagnole qui font écho aux miens, à ce qu’ont vécu mes parents, ma famille, à ce que j’observe encore régulièrement quand je me rends de l’autre côté des Pyrénées.

Sur un strict plan cinématographique, il est pour moi ce maître absolu de la fiction rocambolesque, le chantre d’un « baroque narratif » digne des telenovelas les plus extravagantes, qu’il parvient à sublimer grâce à un style, un talent et une sensibilité uniques.

Je suis donc un peu resté sur ma faim car Douleur et Gloire est sans doute, auto-portrait et introspection exacerbée obligent, son film le plus « sage ».

Bien sûr, cette façon qu’il a de circonscrire son (in)action et sa mise en scène à l’appartement de Salvador (qui rappelle un peu la chambre-prison du génial La piel que habito), et à son esprit, là où il a plutôt tendance à multiplier les décors et les lieux, est remarquable. Cette manière de faire affleurer l’émotion, cette pudeur relativement nouvelle, là où il a coutume d’ouvrir les vannes avec flamboyance, mérite le respect, sinon plus. Salvador/Banderas explique d’ailleurs à son ami acteur que les plus grands interprètes ne sont pas ceux qui savent pleurer mais ceux qui, au contraire, parviennent à faire monter les larmes sans jamais les faire couler.
En résumé, « sagesse » n’est pas synonyme de « paresse » et le classicisme a évidemment ses vertus : je renvoie pour cela au beau papier publié par les belles plumes de So Film.

Malgré tout, il m’a manqué, ce lyrisme décomplexé : tout dans Douleur et Gloire respire la maîtrise… du Maître, d’un cinéaste au sommet de son art, quand ce que j’aime par-dessus tout chez lui c’est le sens du mélo pur et dur, les torrents de larmes tout autant qu’une certaine impureté.

Le climax du film, en tout cas son aboutissement et la conclusion des ruminations de Salvador (que je ne dévoilerai évidemment pas) incarne très bien cela selon moi. Extrêmement osée (voire choquante je suppose pour certains spectateurs), la séquence se déploie le plus sereinement du monde, avec une audace aussi folle que tranquille, parée d’évidence. C’est remarquable…

C’est remarquable mais it’s not you, it’s me, ou plutôt, no es tu culpa, sino la mía : ça n’est tout simplement pas cet Almodovar là qui me bouleverse.

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