Aujourd’hui, l’âne voit l’ange (?).
Je dois passer un examen d’anglais. Fastoche normalement (j’ai fait des études d’anglais) mais là, je sais pas, je le sens pas trop. A cause de la difficulté de l’épreuve ou de son importance pour la suite de ma carrière ? Difficile à dire mais je suis fébrile.
Je commence à discuter avec les autres candidats et remarque très vite une certaine nervosité. L’atmosphère est carrément électrique, n’ayons pas peur des mots: « l’an dernier, personne a été reçu », « il paraît qu’IL a déjà frappé un candidat » ou « vous croyez qu’IL choisit lui-même les sujets ? ». Ca se précise: c’est donc l’examinateur qui est la cause de la fébrilité ambiante. Je stresse encore plus et ça n’est pas la présence de mon amie X qui est faite pour me rassurer : elle m’adresse à peine la parole, elle est là pour la gagne. Bon.
Après quelques minutes de discussions paranoïaques, on s’installe tous en silence dans la salle de classe (c’est davantage une salle de classe qu’une salle d’examen; d’ailleurs on est tous assis derrière des pupitres en bois individuels, à l’ancienne).
Et IL déboule enfin : Nick Cave nom de Dieu !
C’est donc lui qui va nous faire passer l’examen…
Un Nick Cave plus nickcavien que nature : costume noir, chemise blanche largement ouverte, chaussures vernies. Dire qu’il « ne sourit pas » ou qu’il « fait la gueule » serait un euphémisme : il a l’œil noir et le sourcil froncé. Il dit même pas bonjour le type, il attaque direct : une dictée, en anglais. Un texte issu de sa production personnelle, peut-être de son roman Et l’âne vit l’ange : tortueux, abscons, faulknerien, plein de constructions alambiquées à la ponctuation incertaine et de mots de vocabulaire rares et/ou désuets.
Bilan, on pane rien à ce qu’il raconte mais surtout, il marque à peine des pauses et ne répète absolument rien, ne nous permettant pas de tout noter, encore moins de souffler : c’est pas les dictées de quand on était petits et c’est la panique. Tout le monde essaie de grattouiller tant bien que mal et à la va-vite ce qu’il croit comprendre, en échangeant des regards plein de douleur et d’incompréhension. Je finis même par me dire que je ferais peut-être mieux de tout prendre en dactylo et de le retranscrire dans les quelques minutes imparties à la relecture mais c’est évidemment une très mauvaise idée.
On approche de la fin. Son texte ressemble de plus en plus à une incantation ou à un prêche un peu possédé. Nick Cave quoi. Il finit en répétant en boucle « mercy wife mercy wife mercy wife » : merde, il le dit combien de fois ? Tout le monde essaie de compter mais il va de plus en plus vite, il est en transe. Mais putain, ça fait combien de « mercy wife » tout ça ?!?! Panique totale, tout le monde s’échange le regard du lapin pris dans les phares d’une voiture.
En désespoir de cause, je tente un coup de poker : il n’y a en réalité qu’un seul « mercy wife » dans le texte, c’est son interprétation qui fait le reste.
Je note donc « mercy wife » sur ma copie, ajoute un point final, effectue une relecture rapide et me lève pour la lui rendre.
J’avance d’un pas mal assuré vers l’interprète de Loverman, qui ne m’a jamais paru aussi intimidant. Les autres candidats sont encore assis derrière leur pupitre, ils attendent de voir ce qui va se passer.
Arrivé devant Cave, je lui tends ma copie d’une main tremblante. Il s’en saisit et y jette un œil, puis plante son regard dans le mien. Il lève alors lentement sa main droite, sa red right hand rouge sang et la pose sur mon épaule, en signe d’adoubement… ou de condamnation ?
Je le saurai jamais car là, je me réveille.