Wilco – Casino de Paris, Paris

Wilco figure sans problème parmi mes groupes contemporains favoris et mes groupes favoris tout court. C’est aujourd’hui une belle exception americana alors que je n’écoute pratiquement plus ce genre dont j’ai l’impression d’avoir fait le tour si je dis le choses de manière un peu présomptueuse, ou qui ne me parle en tout cas plus comme il a pu le faire par le passé pour dire les choses plus justement. Mais Wilco c’est précisément bien plus que de l’americana (tout comme Bill Callahan ou Bonnie « Prince » Billy, autres rescapés de mon nettoyage par la pop).

J’ai découvert le groupe via Summerteeth, son album le plus pop justement, et depuis, pas une erreur de parcours pour moi.
J’entends certaines critiques des fans de la 1ere heure (jusqu’à Summerteeth inclus justement, et le renvoi de Jay Bennett), je lis les mots «dad rock», «middle of the road», «pantouflard» ou «Tweedy a pris du bide». J’ai simplement envie de répondre qu’à l’heure ou le leader du groupe, Jeff Tweedy donc, va entrer dans sa 30ème année de carrière, j’aimerais qu’on me cite un autre groupe/artiste qui peut se targuer d’une discographie aussi solide après 3 décennies.
Ok, bien sûr, on ne retrouvera sans doute plus la fièvre ni l’urgence de Being There (encore que, Stars Wars l’an dernier, merde quoi!) : Wilco est aujourd’hui sûr de son talent et déroule plus qu’il ne chamboule mais bordel, les brancards ils ont suffisamment rué dedans comme ça. Quand on écoute des albums relativement mineurs à l’aune de leur discographie, tels que Wilco (The Album) ou The Whole Love, quand on constate leur niveau intrinsèque bordel, quand encore aujourd’hui on écoute un album tel que Schmilco, qui met à l’amende une bonne partie de ce qui est sorti cette année, ben merde alors oh faut pas déconner quand même hein.
C’est aussi mettre un peu vite de côté les avanies personnelles connues par le principal intéressé (migraines, addiction aux anti-douleurs, dépression chronique) : si elles sont pour beaucoup dans les moments les plus déchirants d’un album comme A Ghost Is Born, on va quand même pas lui reprocher de s’en être débarrassé et d’avoir enfin trouvé la sérénité… Depuis la guérison de Tweedy et sa stabilisation dans la formation qu’on lui connait actuellement (un peu plus de 10 ans), Wilco démontre simplement selon moi ce que c’est que de s’épanouir, de mûrir et de bien vieillir dans le rock.
Et oui, Jeff Tweedy a pris du bide.

La photo officielle de 2016
La photo officielle de 2016

J’ajouterai, et c’est très important dans ma relation et mon attachement à ce groupe, que ces mecs sont des mecs bien (comme disent les anglo-saxons « decent people »). Ils sont là, ils font leur truc, tranquille. L’an dernier par exemple, ils offrent un album en téléchargement gratuit (Star Wars), en expliquant qu’ils le font parce qu’ils peuvent le faire, tout simplement; qu’ils ont suffisamment vendu, qu’ils font plein de concerts dans des grandes salles donc voilà, cadeau, si vous voulez acheter un album, piochez plutôt dans cette liste de recommandations. Mince, c’est pas l’élégance absolue ça ? Les mots prononcés par Jeff Tweedy sur scène, leur attitude générale, entre eux, envers leur public confirmera ô combien leur classe et leurs qualités humaines.

Wilco a joué à Paris il y a 4 ans. J’avais longuement hésité à y aller, avant de finalement renoncer (aujourd’hui encore je me demande bien pour quelle raison…). Des échos amis ayant fait part d’une prestation et d’une soirée exceptionnelles, je m’en suis longtemps voulu de ne pas avoir pris la décision de m’y rendre. Donc quand j’ai vu il y a plus d’un an qu’ils repasseraient par Paris, j’ai pas hésité une seule seconde, j’ai pris mes billets plusieurs mois à l’avance.

Le concert avait lieu au Casino de Paris. J’ai raté William Tyler qui n’a joué qu’une demie heure en ouverture, arrivée un gros quart d’heure avant l’entrée en scène de Wilco. Belle salle. Public très majoritairement masculin et trentenaire-quadragenaire. Je vois même des mecs qui pourraient être mon père, ça fait très longtemps que ça m’était pas arrivé.

20h30 pétantes, Nels Cline et sa longue silhouette précédent Jeff Tweedy, plus rondouillard que jamais donc. Il a opté pour sa tenue fétiche : chemise en jean ouverte sur marinière et bien sûr son désormais indispensable chapeau.
Et lève pas les yeux au ciel, c’est important ça mon vieux, trrrrèèès important même parce que cette tenue synthétise et symbolise à merveille ce qu’est Wilco aujourd’hui : la chemise en jean du rock américain, la marinière de la pop et le chapeau pour l’élégance. Il y aurait beaucoup à dire sur ce seul chapeau en vérité: c’est pas un chapeau de cow boy, c’est plus fin et élégant que ça, c’est Wilco à lui tout seul. Oui, j’adore ce chapeau et oui, je tape des séries de mots improbables dans Google pour choper de quel modèle il s’agit, quelle marque etc. J’ai une «tête à chapeau» comme on dit (comprendre : je suis chauve), je suis sûr qu’il m’irait à merveille.

Ca c'est un beau chapeau
Ca c’est un beau chapeau nom de Dieu

Cline et Tweedy prennent donc la scène et attaquent le set avec Normal American Kids. Le son est clair («limpide… comme du cristal»), enveloppant. La scénographie est délicate, ils ont l’air de jouer au cœur d’une belle forêt. C’est, déjà, superbe.
Alors que le morceau s’achève, le reste du groupe à savoir Mikael Jorgensen aux claviers, John Stirratt à la basse, Glenn Kotche à la batterie et Pat Sansone à la guitare/piano/banjo/autres, les rejoignent. Ils enchaînent avec If I Ever Was A Child et Cry All Day du dernier album puis I am trying to break your heart, premier «tube» qui reçoit une belle ovation. Art of Almost, Pickled Finger, ça déroule, c’est irréprochable. Manque un petit truc quand même, on sent le groupe sur des rails, un peu sur la réserve. En maîtrise totale mais seulement en maîtrise.

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Un type interpelle Tweedy alors qu’il prononce ses premières paroles, il dit qu’il a des réserves sur Donald Trump. Tweedy s’en amuse et rétorque qu’il a plus que des réserves: «I’m shitting my pants!» conclut-il.

Je sais pas si c’est à partir de là que le groupe se lâche, ça serait peut être un peu facile de l’interpréter de cette manière mais toujours est il qu’à un moment donné, A UN MOMENT DONNÉ… Mon vieux… Le carnage. La boucherie.
Des mecs, musiciens supérieurement doués et sensibles, montrent ce qui fait d’eux des musiciens supérieurement doués et sensibles. Des mecs au dessus de la mêlée. Ensemble, toujours. Cline expérimente constamment avec subtilité et sauvagerie à la fois,  Kotche sue comme un dingue (il finit les 2h de concert comme s’il avait disputé 5 sets sous le cagnard de l’open d’Australie), tire des breaks et sonorités incroyables de son drum kit minimaliste, Sansone passe d’un instrument à l’autre avec souplesse, Jorgensen et Stirratt assurent les arrières. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur l’influence discrète de ce dernier, dont on oublie souvent qu’il est co-créateur du groupe avec Tweedy, et qui est le seul à l’accompagner depuis plus de 20 ans. Il double souvent sa voix, il est celui qui a fait entrer Pat Sansone dans le groupe, l’a ouvert sur le soft rock et un son plus chaud. Tweedy quant à lui, chante et orchestre tout ça avec maestria, amiral d’un vaisseau souverain, complexe et opulent. C’est génial. Ces mecs sont géniaux. Impossible Germany putain… Tout le monde l’attend celle là, tout le monde sait pertinemment que c’est un moment fort des concerts de Wilco en raison du solo fou que Nels Cline y prend… Ce qui s’est passé hier soir sur ce titre là est difficilement descriptible : quand tu crois que le mec vient de créer sous tes yeux la Chapelle Sixtine des solos de guitare modernes, la coda qui suit, avec son riff interprété par les 3 guitaristes à l’unisson te met encore plus à genoux. Immense bonheur purement musical, intense émotion artistique. Tweedy ne s’y trompe pas, qui demande une ovation pour son guitariste en s’inclinant et en ôtant son chapeau pour le saluer.

Je vais pas citer tous les grands moments qui s’enchaînent sans répit jusqu’à la toute fin. Grosse émotion personnelle lorsque résonnent les premières notes d’un Either Way que je ne pensais absolument pas entendre. Je me souviens comme si c’était hier de la première fois que j’ai entendu ce morceau et de l’émotion que ce fut, alors que j’étais pourtant déjà très fan du groupe. Une des chansons qui me touchent le plus, toutes périodes et tous genres confondus. Entendre ses premières notes hier soir c’était clairement l’instant tu-essaies-tant-bien-que-mal-de-pas-passer-pour-une-lopette-au-milieu-de-tous-ces-mecs-sérieux. J’ose pas imaginer ce que ça aurait été s’ils avaient joué One Wing ou Hell Is Chrome.

Comme s’il était enfin totalement à l’aise, les interventions de Jeff Tweedy se mettent au niveau : lorsqu’il demande si on passe un bon moment et qu’après une approbation rugissante de la salle quelqu’un lui retourne la question, il commence par expliquer un peu pince sans rire que oui, ça va sans dire, c’est leur seul moment de bonheur de la journée, avant de confesser avec humour en quoi consiste ces journées justement, pour finir en expliquant que s’il s’adresse à nous en anglais et non en français à son grand regret, c’est parce qu’il s’est fait jeter du cours au lycée. Et de conclure son chaleureux et amusant speech, grand seigneur, en nous remerciant d’avoir été assez assidus en anglais pour lui permettre de se faire comprendre dans sa langue à lui. Qu’est ce que j’aime ce mec nom de Dieu.

Wilco casino de paris
A partir d’un moment donné donc, concert grandiose basé sur une setlist impeccable dont un néophyte aurait peine à différencier les «tubes» anciens (Box Full of Letters bon sang !!), des titres les plus récents : quand on voit l’effet que produit et l’accueil que reçoit un Random Name Generator sorti l’an dernier par exemple, on comprend que Wilco se permette le luxe de nous dispenser de A Shot in the arm, l’un de ses titres les plus populaires et efficaces sur scène depuis de nombreuses années.
Sur le 2ème rappel, Tweedy accueille William Tyler pour une version de California Stars bonne comme le bon pain et prompte à soutirer un sourire bienveillant à la plus immonde crapule. A ce moment précis, tout le Casino de Paris les voit ces california stars.

Et c’est la fin. 2h plus que pleines qui passent comme dans un souffle, à la fois chaleureuses, stimulantes et euphorisantes. Et un groupe qui prouve une fois de plus qu’il est un bon groupe (euphémisme intended) mais surtout un beau groupe (idem).
Grandiose, vraiment et dans le top de mes concerts inoubliables. Pour leur prochain passage en France, je n’hésiterai pas non plus.

2 commentaires sur “Wilco – Casino de Paris, Paris

  1. Bien vu l’ami! Je partage ton point de vue et je confirme que le concert du Grand Rex était aussi d’un excellent niveau et peut-être un peu supérieur musicalement. Par contre, il y avait un léger service d’ordre prêt de la scène qui intervenait trop souvent pour des histoires de photos ce qui m’a un peu gâché le spectacle, et puis une salle sans fosse se prête moins pour ce genre de concerts.
    Le Casino, c’était plus chaleureux, et Jeff Tweedy bien plus relax, plus proche, Et la scène était simplement magnifique : le décor génial ainsi que les lumières. Très pro comme tout le reste. Mais tu as vu tout ça.
    Wilco fait toujours partie des valeurs sûres du rock alternatif.
    Moi aussi, j’ai raté un concert. C’était au moment de la sortie de Sky blue sky. J’ai découvert Wilco grâce à Hugo Cassavetti qui présentait à l’époque leur dernier album dans l’émission défunte de Bernard Lenoir et passait Impossible Germany. J’ai aussitôt accroché mais c’était un peut trop tôt pour la tournée. Depuis, j’ai quasiment toute leur riche disco et je les passe régulièrement sur la platine.
    PS Je fais partie de ceux qui pourraient être ton père.

    1. Merci pour cet éclairage !
      J’affectionnais particulièrement les interventions de Cassavetti chez Lenoir mais j’aurais jamais pensé qu’il recommandasse (?) un jour Wilco. Tant mieux en tout cas, ça serait dommage de passer à côté d’un tel groupe n’est-ce pas? 😉

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