Je crois que si Liam Hayes, l’homme à la tête de Plush, me fascine autant (parce que c’est bien de ça qu’il s’agit), c’est parce qu’il est le dernier vestige d’une époque sans doute révolue. Une époque au cours de laquelle les artistes/groupes étaient tous plus ou moins mystérieux, plus ou moins insaisissables, plus ou moins fascinants, encore, pour la simple et bonne raison qu’on ne savait plus ou moins rien d’eux.
Du coup, on pouvait fantasmer.
En 2016, c’est génial, vraiment, de pouvoir d’un simple clic voir à quoi ressemble ce songwriter misnathrope enregistrant au fin fond du Kentucky et dont on a découvert la démo en ligne 3 minutes auparavant. Le voir et l’entendre ou le lire raconter le pourquoi du comment de son album, de son parcours, que sais-je encore. C’est super. Mais le fait est qu’on a perdu cette faculté d’émerveillement liée à l’absence pure et simple d’information, de support photographique ou écrit. Et en gros, aujourd’hui, y a Daft Punk et Liam Hayes. Je grossis à peine le trait, ça concerne évidemment d’autres artistes mais pas tant que ça au bout du compte. Sachant que pour l’un des 2 que j’ai cités, le mystère est savamment entretenu et orchestré, sans doute à coups de plans marketings derniers cris.
On pouvait croire il y a 1 an/1 an et demi que ça y était, Liam Hayes allait enfin décoller, bénéficiant à la fois d’une exposition intéressante (il avait signé la bo d’un film de Roman Coppola, Dans la tête de Charles Swan III), et jouant le jeu du music business traditionnel : album / promo / clip (réalisé par le même Roman Coppola) / tournée. Mais là, bim, ça va faire bientôt 2 ans que le mec est retourné dans sa tanière : pas une info, pas un indice, rien. Autant qu’on sache, il peut tout aussi bien être en train d’écrire son nouvel album que de glander, élever ses enfants (s’il en a, on en sait rien) ou être retourné à son métier de plombier-chauffagiste (si ça se trouve, on en sait rien). Vie personnelle, projets discographiques ou autre, Liam Hayes est un mystère total, on ne sait RIEN. Et c’est très bien comme ça.
Cette « posture » (j’utilise des guillemets car j’ai vraiment du mal à envisager qu’il y ait quelque chose de délibéré, calculé ou cynique derrière) trouve sa matérialisation la plus parfaite dans Fed, album sans visage dont l’enregistrement a duré plusieurs années et créé/entretenu le mythe de son créateur : « tu te rends compte, il a coûté une blinde ce disque, ça a mené son label à la banqueroute ! » « il est encore en train de rembourser lui-même les traites » etc etc.
Evidemment, tout ça ne serait que folklore et anecdotes sans la musique : Fed est bien l’album véritablement unique que la légende a construit, un disque à la fois immédiat et profondément tordu, opulent et étrangement sec. Fascinant, c’est le mot je pense.