Tireur d’élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d’innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de « La Légende ». Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes ennemies, si bien que sa tête est mise à prix et qu’il devient une cible privilégiée des insurgés. Malgré le danger, et l’angoisse dans laquelle vit sa famille, Chris participe à quatre batailles décisives parmi les plus terribles de la guerre en Irak, s’imposant ainsi comme l’incarnation vivante de la devise des SEAL : « Pas de quartier ! » Mais en rentrant au pays, Chris prend conscience qu’il ne parvient pas à retrouver une vie normale.(Allocine.com)
Je savais, pertinemment, mais ça me troue quand même un tout petit peu le cul. Je savais qu’il n’en était rien, que les critiques, la pseudo-polémique autour du film n’avaient aucune raison d’être. Mais quand même… Du coup, je vais pas y aller par 4 chemins : comment peut-on voir dans American Sniper un hymne patriotique, un tract pour l’intervention américaine en Irak, un film réactionnaire et dangereusement militariste, autrement qu’avec de la merde ou de la mauvaise foi dans les yeux ? Désolé si tu es dans ce cas hein, c’est pas contre toi (contre tes yeux à la limite) mais mince…
« Who’s The Legend now ? » demande, rigolard, un vétéran en chaise roulante après avoir effectué un carton lors d’une séance d’entraînement au tir, à celui qu’on surnomme réellement The Legend. « You don’t want that name, trust me » répond ce dernier. Cet échange résume tout le film : American Sniper est l’histoire d’un homme qui pense avoir trouvé sa place et son rôle dans le monde, qui devient une légende pour de mauvaises raisons et qui va finir par se rendre compte qu’il s’est fourvoyé et qu’il porte ce surnom comme un fardeau.
Acte 1 : le Texas, ses armes à feu et sa Bible dès le berceau, ses cowboys bas du front, son insouciance aussi. Chris Kyle (Bradley Cooper, très bien) est un mec heureux. Un soir de biture avec son frangin, il se persuade, devant les images d’un attentat anti-US sur le sol africain, que son but sera désormais de servir et protéger son pays. Il s’engage alors dans les Navy SEALS, troupes d’élite de l’armée américaine. Il trouve sa place donc, en même temps que l’amour un soir de virée entre potes (Sienna Miller, très bien aussi).
Acte 2 : l’Irak. Chris Kyle y devient rapidement un sniper d’exception, ce qui lui vaudra le surnom de The Legend donc, en tuant des vies (irakiennes) pour en sauver d’autres (américaines). Tout va bien : pour un texan bas du front à qui on a appris dès le plus jeune qu’on a le droit d’user de la violence pour protéger les siens, tuer un enfant dans le cadre de sa mission ne génère que peu d’états d’âmes. Mais, et c’est là que Clint réussit remarquablement son film, si Kyle va pour le mieux, tout, et tout le monde autour de lui, s’évertue à remettre sa mission en perspective.
Sa femme bien sûr, qui voit bien lorsqu’il rentre au pays entre 2 missions, que son mari n’est plus le même. Son binôme de patrouille, qui se demande si ce qu’ils font est réellement justifié. Son frère, en poste en Irak également, mais totalement brisé lui, qui rentre au pays hagard sur un éloquent « fuck all this ». Etc. Et Eastwood lui-même bien sûr, trop intelligent, et trop confiant en l’intelligence de son public, qui préfère rester à échelle humaine plutôt que de se lancer dans un discours anti-militariste trop évident. La façon dont il laisse la parole à ses personnages, sans conditions, sans filtre, mais sans pour autant épouser leur point de vue non plus, m’a énormément fait penser à ce qu’accomplit Michael Cimino dans Voyage au bout de l’enfer, autre film que certains ont hâtivement et bêtement taxé de patriotique en son temps.
Acte 3 : de retour au pays de manière définitive cette fois suite à une dernière mission qu’il aura vécue comme une épiphanie (métaphore un peu lourde peut-être, mais très efficace, de la tempête de sable de laquelle il va falloir s’extirper), Kyle ne va pas bien. Il a compris : que tout ça était absurde, que ça lui a laissé des marques indélébiles (effrayante scène où il reste assis devant l’écran de téléviseur éteint alors que la bande son donne à entendre des scènes de combat), qu’il n’est pas « une légende ». Le titre, très certainement ironique connaissant Eastwood et son anti-militarisme forcené, peut alors légitimement faire froid dans le dos : quelle différence entre ce sniper américain qui tue à tour de bras avec l’approbation des puissances occidentales et ce sniper irakien, méchant officiel de l’h(H)istoire ?
Il faut donc voir American Sniper non pas comme l’hagiographie d’un assassin mais comme le portrait d’un destin brisé dès le départ, dès l’enfance, sans que le principal intéressé s’en rende compte. Ou trop tard…
Le film se situe ainsi dans le prolongement direct du trop sous-estimé Jersey Boys, le précédent film d’Eastwood sorti l’an dernier : fausse success-story, vrai tragédie humaine. Avec une petite couche de noirceur supplémentaire : Kyle a beau avoir pris du recul, il n’est pas encore prêt à briser le cercle de la violence avec sa progéniture. Triste et terrifiant… Encore bravo et merci Clint.