Grande remise met un point d’honneur à ne jamais commenter l’actualité politique ou les événements importants survenus en France ou dans le monde, sinon par petites touches et en essayant toujours de les désamorcer par le sarcasme, la dérision ou le second degré. Aujourd’hui néanmoins, il me paraît difficile de faire reprendre au blog son cours normal sans évoquer avec un minimum de sérieux ce qui c’est passé la semaine dernière. Je le ferai, comme toujours, sous un angle exclusivement personnel : d’autres se sont chargés, se chargent, se chargeront encore de bien mieux mettre en perspective ce qui s’est déroulé que je ne pourrai jamais le faire.
Si j’ai évidemment et comme tout un chacun été bouleversé par le massacre survenu mercredi dans les locaux de Charlie Hebdo, j’entends par l’attentat en lui-même, sa sauvagerie et sa symbolique universelle, j’ai été profondément affecté car, comme pour beaucoup de personnes de ma génération, il a marqué une sorte de tournant, de passage définitif, brutal et inattendu à l’âge adulte : le lendemain, un collègue à peine plus âgé que moi disait qu’il avait l’impression qu’on avait « flingué son enfance ». Je ne saurais dire mieux.
Comme beaucoup de 35-40naires, j’ai grandi avec Cabu dans Récré A2. Je l’ai simultanément découvert sous un autre aspect dans le Canard Enchaîné, avec ses personnages emblématiques du Beauf et du Grand Duduche, par l’entremise de mes frères et soeurs plus âgés. Ce qui m’a quasiment en même temps amené à lire Wolinski puis Reiser etc. Je ne comprenais pas tout évidemment, loin s’en faut mais je voyais bien qu’il y avait là quelque chose de transgressif, de choquant, un goût d’interdit, de je-devrais-pas-lire-ça-à-mon-âge qui le rendait encore plus attirant et précieux. Je suis convaincu que c’est lors de ces quelques années, au cours desquelles j’ai été exposé à des créations auxquelles je n’aurais normalement pas du être exposé, que s’est formé, en grande partie, l’adulte que je suis aujourd’hui. Alors oui, moi aussi je peux dire qu’on a flingué mon enfance mercredi dernier et ça me fait chier.
Conséquemment, si j’ai été aussi choqué, abasourdi même, c’est aussi, et comme beaucoup là encore je pense, parce qu’on s’est non seulement attaqué à la liberté d’expression mais, dans son cadre, à des caricaturistes, des dessinateurs humoristiques, des comiques. Des COMIQUES putain. Si tu suis un minimum ce blog, tu sais ma passion et mon admiration, immenses et sincères, pour tous ceux qui, de Ricky Gervais à Louie CK, de Judd Apatow à Chris Esquerre, des Jim Carrey à Larry David, et je pourrai en citer des dizaines d’autres, rendent notre vie plus belle et plus joyeuse avec leurs films, vannes, séries, sketches etc. Assassiner un artiste en raison de ce qu’il transmet dans son art est insupportable. Tuer un humoriste pour les mêmes raisons me paraît tout bonnement inconcevable. Me paraissait, malheureusement… C’est sans doute un peu idiot et très naïf de le formuler ainsi mais tuer l’humour, c’est tuer la vie dans ce qu’elle a de plus essentiel à mes yeux, et c’est aussi ça qui fait aussi mal.
Et maintenant ? Et maintenant, comme beaucoup, je ne sais pas. Je l’ai écrit plus haut, je n’ai ni l’envie, ni les outils pour me lancer dans des propositions, une analyse plus ou moins approfondie de ce qui nous attend, de ce qui pourrait advenir et de comment y parvenir. Je ne sais tout simplement pas : je suis à la fois très inquiet (lorsque j’entends certains commentaires des politiques) et raisonnablement optimiste ( et très ému, lorsque je vois l’incroyable élan populaire qui s’est manifesté ce weekend). Je sais juste que plus que jamais, il faut rire, boire, manger, baiser, aimer, créer, vivre sans entraves.
A très vite pour la suite.