J’ai acheté il y a quelques mois ce coffret DVD des 6 premières saisons d’une série que je souhaitais ardemment visionner depuis longtemps. J’ai terminé et j’enchaîne avec les 2 saisons manquantes (edit : mon compte-rendu ici) mais je peux d’ores et déjà livrer mes impressions : il y aura peut-être une baisse de régime ou une amélioration mais ça ne me fera pas changer d’avis puisque je sais très exactement ce que je vais y trouver : ce que j’y trouve depuis 60 épisodes (10 par saison).
C’est l’un des premiers points qui forcent le respect dans cette série: elle ne varie pas d’un iota, elle suit son cahier des charges à la virgule prêt. On pourrait presque synthétiser en affirmant que le dernier épisode vu est identique au premier, et que si tu aimes le premier épisode, tu aimeras la série. Inversement bien sûr, si t’accroches pas tout de suite, inutile d’insister.
Ce systématisme forcené peut parfois se montrer un peu lassant (la saison 3 m’a ainsi paru un peu trop routinière) mais il est indispensable, inéluctable même : Curb Your Enthusiasm est une série névrotique mettant en scène un grand névrosé, partant de là… Le procédé se révèle au final profondément immersif, voire, pourquoi pas, quasiment expérimental, surtout si on enquille les épisodes en peu de temps.
Pas de grandes intrigues donc et quasiment que des stand-alone (j’exagère un peu). Curb your enthusiasm raconte juste la vie quotidienne de Larry David, dans son propre rôle de créateur de Seinfeld et membre éminent de la communauté hollywoodienne. Il est le seul personnage principal de la série : dans Seinfeld, ils étaient 4, ce qui garantissait, outre l’intrigue tournant autour de Jerry, une, deux ou trois subplots supplémentaires selon les épisodes. Ici, tout tourne autour de Larry David et si il y a bien évidemment des personnages récurrents (sa femme, son agent et son épouse, ses amis), toute intrigue est centrée sur son personnage ou sur les répercussions de ses actions sur son entourage.
Égoïste, roi des pinailleurs, ronchon, bourré de préjugés et de principes, Larry est en quelque sorte une version totalement décomplexée du Georges Costanza de Seinfeld (personnage lui-même très largement basé sur le vrai Larry David. Tu suis ?). Il est souvent décrit comme un anti-héros absolu, un type foncièrement antipathique, une verrue du savoir-vivre, de la bienséance et des conventions sociales. Or c’est selon moi tout le contraire : ce mec est LE héros absolu.
Héros du quotidien qui plus est puisque plus encore que Seinfeld, Curb Your Enthusiasm est un « show about nothing » pour reprendre la célèbre formule, où l’ont peut batailler pendant plusieurs minutes sur la possibilité, ou non, de se servir librement dans un frigo qui n’est pas le sien.
S’il vit et agit selon des codes et des principes qui n’appartiennent qu’à lui, Larry est prêt à aller très, très loin pour qu’ils soient reconnus. Et il impose par là même le respect, forcément, car il est l’incarnation de nos pulsions les plus honteuses, la voix de nos comportements refrénés, l’apparition la plus parfaite du refoulé le plus profond : le type qui va refuser de serrer la main à celui qui vient d’éternuer, qui va faire un scandale parce que la personne qui le précède dans une file d’attente abuse de la générosité d’une vendeuse, qui va se plaindre à la secrétaire de son toubib parce que les magazines de la salle d’attente lui paraissent totalement inintéressants.
Qui va également se comporter de manière inacceptable ou se fourrer dans des situations extrêmement embarrassantes. Et c’est là que la série devient géniale et incroyablement subversive : lorsqu’elle parvient à nous faire prendre fait et cause pour un type dont le comportement en société n’est objectivement pas correct.
Un exemple : je revoyais l’autre jour cette bouse intergalactique de Petits Mouchoirs, qui soit dit en passant mériterait bien un article si j’avais du temps à perdre. Je veux dire VRAIMENT du temps à perdre. Pas comme là quoi… Quoiqu’il en soit, à un moment dans le film, le personnage interprété par François Cluzet pète les plombs et passe ses nerfs sur un gamin qui a selon lui triché lors d’un jeu. Or la scène est grotesque et totalement invraisemblable : Cluzet en fait des caisses, la caméra le condamne complètement, il n’y a aucune ambiguïté, c’est un psychopathe. J’imaginais la même scène dans Curb Your Enthusiasm : elle serait non seulement très drôle mais elle nous ferait en plus insidieusement prendre fait et cause pour Larry. Parce qu’il humilierait le gamin froidement, calmement et que de manière argumentée et avec une sincérité confondante, il démontrerait, que oui, ce petit con a triché et que c’est mal, très mal.
Alors malgré quelques baisses de régime, malgré des rebondissements parfois un peu trop vaudevillesques (quiproquos et incompréhensions à gogo, mais qui participent pleinement de l’aspect rocambolesque du show), c’est absolument génial. Tout et tout le monde y passe : religion, (énormément, notamment le judaïsme bien sûr), racisme, antisémitisme, drogue, handicaps physiques (et mentaux), sexe, toilet humor (l’obsession de Larry pour les toilettes publiques notamment) ça va loin, parfois très loin, mais jamais trop parce que c’est à mourir de rire. Et qu’on entre en empathie avec Larry: « Deep inside, you know you’re him » dit très justement une des tag lines de la série.
Alors oui, l’obsession névrotique, la sur-interprétation des détails du quotidien, la dissection des conventions sociales sont aujourd’hui servis et resservis, souvent galvaudés par tout comique qui se respecte mais le procédé n’a jamais semblé aussi bien mené, aussi pertinent, pour un résultat aussi drôle et incommodant que dans Curb Your Enthusiasm, la série qui ravive les cendres de Seinfeld et te console de la déchéance de Woody Allen.