Bill Callahan – Sheperd in a Sheepskin Vest – critique

Tout a déjà été dit, ou presque, sur l’un des albums événements de l’année, déjà.

Je rappellerai simplement que Bill Callahan n’avait rien sorti depuis 6 ans, autant dire une éternité pour un songwriter plutôt prolifique (15 albums en 23 ans).
J’insisterai, surtout, sur le fait qu’il a acquis, depuis qu’il se produit sous son nom et non plus sous celui de Smog (ou (smog)), un statut et une épaisseur sans équivalents dans la musique actuelle. A la fois icône révérée du rock/folk indépendant le plus intransigeant et neo-figure tutélaire de la chanson américaine, il est aujourd’hui Will Oldham et Leonard Cohen en même temps. A ce niveau de charisme et d’importance dans le paysage musical actuel, un silence prolongé ne peut en outre qu’ajouter de l’épaisseur, une aura de mystère au personnage (en plus de l’attente très prosaïque liée à un simple hiatus dans sa carrière).

Et là, loin du chef d’oeuvre attendu et parfois annoncé, après 6 ans d’absence donc, essentiellement consacrés à son fils et à sa femme, à sa nouvelle vie de family man, et après l’annonce surprise il y a quelques mois d’un nouvel album, une sorte de rumination apaisée, une oeuvre d’une honnêteté et d’une… « intimité » totales, qui la rendent bouleversante. Un album « pantouflard » diront certains et ils auront raison même s’il faudra prendre l’adjectif au pied de la lettre : l’album d’un homme qui a appris à porter et à apprécier de porter des pantoufles. Et quoi de plus difficile, dans le « rock » au sens large, que d’être pertinent et touchant lorsqu’on décrit le bonheur domestique ?

Pas de révolution donc, tout au plus une évolution. Et encore…
Depuis le sublime et séminal A River Ain’t Too Much to Love, on le sait, Callahan ne vit plus ses relations (amoureuses) à travers le seul prisme au mieux, du cynisme, au pire, du doute, de l’aliénation (« I never thought I’d made it this far » sur What comes after certainty). A partir de cet album (qui, il faut le rappeler car il marque une vraie rupture avec tout ce qui précède, est signé « (smog) » et non « Bill Callahan » pour des raisons contractuelles uniquement) , quand il aime, il le dit, et il le vit avec le monde qui l’entoure : les éléments, les animaux, l’Univers.

En ce sens, Sheperd in a Sheepskin Vest doit davantage être appréhendé comme un aboutissement, un accomplissement : celui d’un homme qui s’accorde le droit d’être heureux et serein. Un homme qui s’est ouvert à une femme mais aussi au monde et à la vie. C’est le très beau « True love is not magic. It’s certainty », repris par beaucoup de papiers, et qui pourrait effectivement résumer l’esprit de tout l’album. Ce sont aussi ces lignes confondantes de pureté et de frontalité auxquelles sa voix profonde et son phrasé faussement détaché confèrent une profondeur quasiment métaphysique :

« I got married
to my wife.
She’s lovely »

Si le sentiment d’harmonie, la félicité dominent, l’inquiétude et la Mort planent toujours: « Have you ever seen a sheperd / afraid to find his sheep ? » en ouverture, ou encore cette superbe reprise du Lonesome Valley de la Carter Family, dans laquelle il fait arpenter la dernière vallée i.e. la vallée de la Mort, la vraie, celle que nous parcourons tous avant de nous éteindre, à tous les membres de sa famille. Encore une fois, on retient de Sheperd in a Sheepskin Vest un sentiment de bonheur, d’apaisement, mais ce dernier se manifeste également envers la Mort : la mère de Bill Callahan est morte d’un cancer il y a 1 an, et il en parle comme d’une expérience terrible et poétique à la fois.

Sur la forme, j’ai d’abord été surpris, et déçu je dois bien l’avouer, que l’album comporte autant de chansons (aussi) courtes : entre 2 et 4 minutes, là où Callahan a souvent eu coutume d’étirer ses compositions, de les laisser respirer et prendre l’ampleur qu’elles nécessitaient. Aucun sentiment de frustration à l’écoute néanmoins : il faut, je pense, envisager cet album comme un seul et même titre d’1h. Comme une nouvelle ou un journal intime qu’on lirait d’une traite, avec une structure libre, qui se prête aussi bien à une écoute très attentive que plus distraite, de laquelle on retire des fulgurances ou moments de grâce.

Il en est là Billou: il fait ce qu’il veut. Il se barre pendant 6 ans, il envisage d’arrêter la musique pour se consacrer à sa femme et à son fils et quand il revient finalement, c’est avec une oeuvre modeste et intime, chaleureuse, incroyablement confessionnelle. Sans doute pas un chef d’oeuvre mais mieux encore:  un compagnon de route.

#28 Nick Drake – Five Leaves Left

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Il m’est, « physiquement » j’ai presqu’envie de dire, impossible de parler de ce disque. Autant Pink Moon et Bryter Layter, ses 2 autres albums, pourquoi pas, j’arrive à avoir un peu de recul mais celui là, ça m »est impossible. C’est trop beau, trop fort, trop triste. Five Leaves Left, c’est comme le Panthéon à Rome ou la vallée de Glencoe en Ecosse : tu encaisses et tu te tais.

Kurt Vile – Wakin on a pretty daze – critique

J’aurais pu me contenter d’y revenir dans mon futur top 2013 au sein duquel il occupera une place de choix mais j’avais envie de réserver à ce disque un billet unique. Un talent de songwriter (et de guitariste !) comme celui-là, il n’en éclot pas tous les 6 mois.

Kurt-Vile-Waking-On-A-Pretty-Daze
Même si Kurt Vile est in da house depuis déjà quelques années. 4ème album il me semble mais j’ai l’impression qu’il est encore largement ignoré en France : il bénéficie du soutien indéfectible d’Uncut en Grande-Bretagne et de Pitchfork aux USA mais ici… Il a pourtant sorti il y a 3 ans un véritable classique instantané de folk moderne, Smoke Ring for My Halo.

Wakin on a pretty daze est immédiatement identifiable (rhaaaaaa cette intro… Sans doute mon morceau préféré de 2013) mais il se révèle vite assez différent. Beaucoup plus long, plus varié aussi, il est davantage le fruit d’un travail d’un groupe : l’album typique du mec qui a tourné pendant de longs mois et qui a envie que cette atmosphère soit immortalisée sur son nouvel album studio.

Ce que j’aime par dessus tout je crois dans les disques de Kurt Vile, c’est qu’ils sont de véritables disques de folk urbain : même quand il joue acoustique, dépouillé, on ne voit pas d’images mentales de la campagne, ou des grands espaces, on voit la ville, les immeubles, les graffitis, les gens qui font la gueule. A ce titre, écouter ses chansons au casque dans les transports en commun ou dans la rue est une merveilleuse expérience. C’est particulièrement le cas sur cet album-ci puisqu’il est plus électrique que ces précédents. Mais même :  tu peux faire le test avec Smoke Ring for My Halo, tu verras, ça fonctionne du feu de Dieu et c’est une belle expérience.

Ce qui rend ce disque particulièrement touchant enfin, c’est que derrière son image de pothead chevelu et narquois (ce dont il se défend mollement dans le beau Gold Tones), Kurt Vile fait l’éloge de la vie domestique et familiale. Comme si le slacker y avait trouvé son Graal. Glander à la maison avec femme et enfants après avoir glandé ado avec ses potes, c’est ça le bonheur ultime pour Kurt Vile.

Bon, y a peut-être un ou 2 fillers comme disent les anglo-saxons (des titres superflus, dont on aurait pu se passer) mais tout le reste est d’une telle constance dans l’excellence… Wakin on a Pretty Daze est un des temps forts de cette belle année musicale.