Phantom Thread – critique

Dans le Londres des années 50, juste après la guerre, le couturier de renom Reynolds Woodcock et sa soeur Cyril règnent sur le monde de la mode anglaise. Ils habillent aussi bien les familles royales que les stars de cinéma, les riches héritières ou le gratin de la haute société avec le style inimitable de la maison Woodcock. Les femmes vont et viennent dans la vie de ce célibataire aussi célèbre qu’endurci, lui servant à la fois de muses et de compagnes jusqu’au jour où la jeune et très déterminée Alma ne les supplante toutes pour y prendre une place centrale. Mais cet amour va bouleverser une routine jusque-là ordonnée et organisée au millimètre près. (Allociné)

Sans spoilers.

Paul Thomas Anderson fait partie avec Christopher Nolan et David Fincher des réalisateurs contemporains bénéficiant d’une quasi-unanimité à la fois chez les critiques et chez les cinéphiles. Perplexité granderemisque mais je n’en dis pas plus, j’aurais l’impression de me répéter. Il est quand même celui que je déteste le moins : je peux même dire que j’aime beaucoup 2 de ses films (Boogie Nights et Punch Drunk Love) alors que j’avais été agréablement surpris par The Master. Ses 2 films les plus plébiscités en revanche (Magnolia et There Will Be Blood) ont été des calvaires.

Tout ça pour dire que c’est quand même un type dont je continue à voir les films car je les trouve toujours un minimum intéressants et en tout cas moins prétentieux que ceux des 2 couillons cités en ouverture. Je pense qu’il a du talent, qu’il choisit toujours très bien ses interprètes et les dirige parfaitement.

Je restais sur une grosse déception (Inherent Vice, adaptation du polar trancoolos de Thomas Pynchon, une purge) et malgré ça, je le sentais hyper bien ce Phantom Thread : le cadre (Angleterre, années 50), la promesse d’une belle direction artistique (Daniel Day-Lewis y interprète donc un couturier dans la haute-société londonienne), une bande-annonce bien fichue qui, c’est de plus en plus rare, se contente d’intriguer, de créer un certain mystère, sans dévoiler tout le film.

Et malgré ça, bis, j’ai quand même été agréablement surpris. Je dirais même qu’il s’agit du meilleur film d’Anderson : à la fois le plus cohérent, le plus exhaustif, le plus maîtrisé et le plus humain.

Le réalisateur y aborde à nouveau sa thématique favorite, celle du maître et de l’élève, et des rapports ambigus qui peuvent s’instaurer entre les 2 partis. Mais cette fois, le contexte choisi s’y prête merveilleusement (contrairement à There Will Be Blood ou même The Master) : un couturier démiurge et maniaque prend sous son aile une « pauvre » serveuse qu’il va faire entrer dans son monde, personnel et professionnel. Ce thème de prédilection, il le déplace en outre légèrement, ce qui lui permet à la fois d’approfondir et de renouveler son propos: le maître Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis) et l’élève, Alma (Vicky Krieps) tombent amoureux l’un de l’autre, sous l’oeil tour à tour perplexe, protecteur, hostile, désabusé de la soeur de Reynolds, Cyril (Lesley Manville).

Sans vouloir trop en dévoiler, PTA me semble cette fois aller au bout de sa logique, de manière à la fois sensée et sensible. Il le fait avec intelligence donc mais également avec humour : voir les quelques ponctuations franchement comiques, qui peuvent paraître un peu too much mais qui permettent de désamorcer un peu la gravité du récit, d’y ouvrir une petite fenêtre en quelque sorte, de la même manière que cette belle demeure londonienne bénéficierait d’un petit courant d’air ponctuel et salutaire.
Voir, surtout, le « twist » (à défaut d’un terme plus approprié) par le biais duquel le film finit de trouver son sujet, en même temps que le couple son essence. C’est tout aussi beau, émouvant et tordu que grotesque et ça finit de révéler que le cinéaste est capable de ne pas se prendre trop au sérieux (même si ce qu’il dit de sa vision d’un couple est avant tout surprenant, fin et profond, qu’on soit d’accord).

Il n’est pas bien difficile par ailleurs de voir dans ce portrait de créateur total, tout entier dévoué à son art (qui est aussi un artisanat : belle place ménagée à l’écran aux couturières et petites mains, c’est très élégant de la part du réalisateur), un auto-portrait de PTA en cinéaste perfectionniste, maniaque encore, voire control-freak, incarné par un acteur perfectionniste, maniaque et control-freak lui aussi, Daniel Day-Lewis (magistral, évidemment). Pas difficile de voir non plus qu’il y évoque son propre couple, lui aussi improbable, puisqu’il vit depuis de nombreuses années maintenant avec Maya Rudolph, ex-pensionnaire loufoque du Saturday Night Live (la mariée dans Mes meilleures amies pour situer encore mieux). Un cinéaste qui nous dit donc en creux qu’il a appris à lâcher prise, pour son bien-être sans doute mais aussi pour celui de son art. On est loin de l’auto-célébration adolescente et complaisante de Mother !

Un mot enfin sur la direction artistique, à tomber, d’un raffinement exquis : les années 50 représentent probablement avec les années 60 une sorte d’apogée en termes de style et d’élégance, PTA se hisse à la hauteur de la reconstitution. Et là aussi, il est incroyablement cohérent : pas un hasard s’il choisit cette époque (la révolution du New Look n’a pas encore eu lieu) et ce couturier-là, désuet et visiblement très attaché à l’Ancien Monde, qui habille surtout les aristocrates, et dont la carrière est probablement sur le déclin : voir le passage, hilarant, durant lequel sa soeur annonce à Reynolds Woodcock qu’une cliente a décidé de s’habiller ailleurs et qu’il s’emporte à l’évocation du terme « chic ». C’est remarquable.

Quelques beaux photogrammes pour clore ce billet donc puisque outre la qualité du film en termes d’écriture, de mise en scène, d’interprétation, Phantom Thread est le plus beau film (au sens purement esthétique tu terme) que j’ai vu depuis Le Grand Hôtel Budapest.

Lincoln

Je n’ai pas vu les 2 derniers Spielberg. Tintin je voulais le voir mais je l’ai raté. Cheval de guerre n’était pas prévu mais j’en ai eu de bons échos qui m’ont donné envie (malgré ma crainte des images de souffrance animale). Finalement, le temps que je me décide, il ne jouait plus. Je les ai toujours pas vus évidemment. Tout ça pour dire que j’étais assez motivé pour Lincoln.

Eh bah putain…

J’avais pourtant lu des choses très encourageantes. Des critiques ou avis pertinents, qui soulevaient des choses intéressantes, notamment sur la mise en scène de Spielberg, sur sa vision de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui… Je savais ce que j’y trouverai en somme, j’étais prêt à recevoir ces informations là et je les ai même trouvées, si je prends un peu de recul.
Le problème (car problème il y a, t’avais bien compris va) c’est que je me suis fait chier comme un rat mort. Tout simplement. Ca va pas plus loin hein mais je me suis fait chier d’une telle force… Je savais que ça mettait un peu de temps à se mettre en place, que Spielberg nous assénerait comme souvent son didactisme et ses gros sabots mais là c’était tout simplement trop. Quel ennui putain… Et puis c’est vraiment TRES didactique. Et puis ce côté l’Histoire En Marche, pfffffffff… A tel point qu’assez vite, j’avais l’impression de voir une espèce de bande annonce parodique (2h30 la bande-annonce quand même) du type de celles que Ben Stiller a concoctées en prélude à Tonnerre sous les tropiques. « There was a time… And a man… » avec la grosse voix priapique et la petite musique de chambre qui annonce immanquablement la phrase ou le moment qui va passer à la postérité…

LE gimmick du film :  une salle de la Maison Blanche, des politiciens, amis ou ennemis de Lincoln qui débattent. M. President se tient au milieu. Silence. Il prend la parole, la plupart du temps pour relater une histoire qui fait écho à la situation qu’ils sont en train de vivre. Ca se produit un nombre incalculable de fois au cours du film, TOUJOURS de la même manière.

Putain de merde il va parler!
Et merde il va se mettre à parler…

Et puis Daniel Day-Lewis… Ah Daniel… THE actor! The artist… Quel couillon nom de Dieu. Dire que ce mec incarnait le nec plus ultra de sa corporation à une époque. Sans que personne trouve à y redire s’entend. Comme Adjani d’ailleurs, l’Actrice Ultime à une époque, à l’unanimité. Pas étonnant qu’ils aient eu un gosse ensemble tiens… Mais qu’est-ce qu’il s’est passé? Ils sont devenus caricaturaux? Ils l’étaient déjà? Ce sont nos critères de jugement qui ont évolué? Ils étaient (trop) ancrés dans une époque? Je n’ai pas la réponse.

Bon en tout cas, Danichou, il nous fait un festival là . Démarche, posture, fantastique… Accent (genre Sudiste mais déraciné tu vois), intonation de la voix, quel génie… Les critiques te l’ont dit: il EST Abraham Lincoln. OK mais enfin… Je veux dire: on a des documents qui attestent de tout ça? De ce timbre voilé, de cette démarche de grand échalas un peu dégingandé, de ce dos vouté? Ouais… Peut-être… Peut-être pas… Le Daniel, je le vois bien imposer sa performance, coûte que coûte, en dépit du bon sens, du réalisme, de la vraisemblance… Du film lui-même.

– Ouais super Daniel mais là tu vois, ce qui serait bien c’est que tu te lève et que tu prenne le tisonn…
– Non.
– Comment ça « non »?
– Comme ça: non.
– …
– Abe n’aurait jamais fait ça. Ca n’est pas ce qu’il me commande de faire.
– Oui mais là c’est moi qui te demande de..
– C’est lui Steven. LUI. Lui qui demande. Lui qui commande. C’est lui qui est venu à moi. Je ne crée rien Steven, je SUIS.

Enfin tu vois le genre: insupportable.