The Dead Don’t Die – critique

Dans la sereine petite ville de Centerville, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Les nouvelles sont effrayantes et les scientifiques sont inquiets. Mais personne ne pouvait prévoir l’évènement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : THE DEAD DON’T DIE – les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville. (Allociné)

Mon impatience et ma grosse attente liées à la sortie de ce film ayant vite été douchées par des retours désastreux (et quasiment unanimes), je ne pouvais, au final, qu’avoir droit à une bonne surprise. C’est LE gros problème de The Dead Don’t Die : il a créé une attente démesurée. Film de zombies, par Jim Jarmusch, avec un casting précis-pointu-cool : c’était trop beau non pas pour être vrai mais réussi.

Alors non, The Dead Don’t Die n’est pas un bon film. C’est peut-être même le plus mauvais de son réalisateur. La question se pose en tout cas. Mais ça n’est certainement pas la catastrophe absolue annoncée dans la majorité des billets qui lui sont consacrés : je vais me répéter mais les mecs devraient voir de vrais mauvais films de temps en temps, ça leur éviterait de formuler d’aussi grosses conneries.

Il s’agit en réalité d’un pamphlet potache et nonchalant voire désinvolte. C’est ce qui agace principalement, et je peux le comprendre : Jarmusch se conforme un peu trop à son image de cinéaste indolent, laid back, à l’humour pince-sans-rire. C’est too much oui : voir par exemple l’arrivée sur la scène de crime du diner, durant laquelle le comique ( ?) de répétition ( ?) ne fonctionne pas du tout. Dommage également que la désinvolture ait poussé Jarmusch à des clins d’œil meta aussi inutiles que paresseux (le porte-clés Star Wars d’Adam Driver ou surtout le coup du script) car j’ai souri assez régulièrement grâce notamment à l’impeccable trio d’acteurs/flics (Chloé Sevigny, Adam Driver et Bill Murray).

En outre, Jarmusch se montre davantage tendre que réellement moqueur ou condescendant : voir le regard qu’il pose sur le trio de « hipsters from the big city » qui débarque dans cette paisible et bucolique bourgade perdue ou encore sur le personnage de pompiste-geek campé par Caleb Landry Jones. C’est mignon.

Le volet pamphlétaire du film, certes trop didactique (on reproche également beaucoup à The Dead Don’t Die sa conclusion trop littérale), a au moins le mérite de faire un pas de côté par rapport aux autres films de zombie : ce n’est pas tant la surconsommation qui est ici pointée du doigt que le mépris pour la planète et pour les lois de la Nature. A cause d’une recherche effrénée du profit, ce qui ne diffère pas tant que ça mais bon. OK, c’est asséné de manière assez lourde et maladroite mais ça va, c’est pas scandaleux non plus… Et on a sans doute pas conscience nous, Européens, que dans l’Amérique de Trump, des fake news et de l’ultra-libéralisme décomplexé, ce type de discours est plus que nécessaire…

A voir donc, malgré tout, et surtout, à prendre pour ce que c’est : une récréation légère, sans doute vite écrite et vite tournée, qui n’a pas la prétention d’aspirer à davantage.

L’Homme qui tua Don Quichotte – critique

Toby, un jeune réalisateur de pub cynique et désabusé, se retrouve pris au piège des folles illusions d’un vieux cordonnier espagnol convaincu d’être Don Quichotte. Embarqué dans une folle aventure de plus en plus surréaliste, Toby se retrouve confronté aux conséquences tragiques d’un film qu’il a réalisé au temps de sa jeunesse idéaliste: ce film d’étudiant adapté de Cervantès a changé pour toujours les rêves et les espoirs de tout un petit village espagnol. Toby saura-t-il se racheter et retrouver un peu d’humanité? Don Quichotte survivra-t-il à sa folie? Ou l’amour triomphera-t-il de tout? (Allociné)

Le carton qui ouvre L’Homme qui tua Don Quichotte (je n’ai pas son contenu exact en tête mais en gros: « et après plus de 25 ans, nous y voilà enfin blablabla ») n’augure rien de bon : manière de s’enlever la pression pour la transférer sur les spectateurs (« rendez-vous compte, plus de 25 ans! Gardez bien ça à l’esprit lorsqu’il s’agira de juger le film »), il opère une sorte de chantage affectif assez minable qui m’a bien gonflé. Déjà.

Après… bah, j’ai vite été fixé. Dès les premières minutes en vérité. Du coup j’ai eu plus de 2h pour essayer de me souvenir quand j’avais passé un aussi sale moment dans une salle de ciné : en vain. Honnêtement, je m’en souviens pas. Peut-être Holy Motors et encore. 6 ans et environ 400 films donc.

OK, j’ai jamais été un grand amateur du cinéma de Terry Gilliam dont je sauverais simplement le travail avec les Monty Pythons et, à la limite, Brazil. A la limite. Parce que ça a dû prendre un sacré coup de vieux.

Tout ça pour dire que je ne sauve rien non plus, ou presque, de L’Homme qui tua Don Quichotte,  l’une des plus célèbres arlésiennes du cinéma (qui n’en est donc plus une).

OK, le duo Adam Driver/Jonathan Pryce joue le jeu à fond, se donne bien du mal et s’en tire avec les honneurs. Mais autour d’eux… C’est d’une complaisance, d’une laideur (qu’est-ce que c’est laid nom de Dieu !), d’une facilité sidérantes sur le motif de la réalité et de la fiction qui s’entremêlent jusqu’à la gerbe plus soif. Et qu’on ne vienne pas me parler « d’énergie, de formidable enthousiasme à filmer, de joie de créer » comme j’ai pu le lire chez celles et ceux qui défendent le film : y a aussi beaucoup « d’énergie, de formidable enthousiasme à filmer, de joie de créer » dans les premiers films ratés et irregardables de tous les aspirants cinéastes de la planète. Au niveau desquels je situerais donc L’Homme qui tua Don Quichotte qui restera pour moi comme un énorme ratage et une matérialisation parfaite et définitive de l’expression « tout ça pour ça ».

Sinon j’ai également vu En guerre: médiocre et d’une facilité désespérante lui aussi, il réussit la prouesse, dans son court épilogue, de franchir plusieurs paliers, pour atteindre celui de l’abjection. Costaud.

Logan Lucky – critique

Deux frères pas très futés décident de monter le casse du siècle : empocher les recettes de la plus grosse course automobile de l’année. Pour réussir, ils ont besoin du meilleur braqueur de coffre-fort du pays : Joe Bang. Le problème, c’est qu’il est en prison… (Allocine)

Alors oui, L’Atelier, oui, Detroit, et ça fait du bien de voir de vrais bons films parce que je vais être honnête, je me fais un petit peu chier au ciné cette année. Enfin, j’exagère, disons que je trouve cette année très en-deçà de la précédente.
Mais OUI Logan Lucky parce que ça fait BEAUCOUP de bien de voir un vrai bon film qui en plus d’être intelligent et moins léger qu’il n’en a l’air, te colle le sourire de la première à la dernière seconde.

La bande-annonce est transparente, les premiers échos le confirment et on le constate soi-même très vite: Logan Lucky est bien un Ocean’s Eleven chez les rednecks. Le film a quasiment le même pitch, adopte la même structure et on pourrait s’amuser à lister les clins d’oeil voire les redites (la scène de l’explosion « clé », celle censée faire sauter la banque au sens propre par exemple). Mais Soderbergh est évidemment trop intelligent pour s’en tenir à ça : il y fait non seulement référence directement, s’exonérant par là même et avec malice de toute accusation de paresse ou de manque d’inspiration mais son film est une sorte de remake-reboot un peu différent, un peu à côté.

Et ce « à côté » c’est évidemment le « chez les rednecks » qui permet d’y accéder en offrant non seulement un cadre et une tonalité différents (plus cocasse) mais surtout en substituant au glamour de l’original une tendresse de tous les instants.

Pas de démagogie ni de condescendance : là encore Soderbergh est trop intelligent, trop fin pour ça et s’il ne cède pas à la tentation de la « glamourisation » des couches populaires (la proverbiale coolitude de l’Americana dont on a soupé), il ne se fout pas de leur gueule non plus. Oui, certains sont un peu limités (les 2 frangins de Daniel Craig) mais on en sourit plus qu’on s’en moque et ils ont toute leur place dans le plan élaboré par Jimmy Logan, le personnage interprété par Channing Tatum.
Voir également la façon dont le réalisateur traite le concours de mini miss auquel la gamine participe: ça serait tellement évident de pointer du doigt ce truc horrible et qui prête tellement le flanc à la moquerie mais non, pas ici. La gamine participe à un concours de mini miss, point, inutile d’en faire des caisses et de juger de plus haut.

D’ailleurs, petite digression, c’est fou ce que le résumé du film posté ci-dessus peut-être révélateur d’un mépris de classe : pourquoi les 2 frangins seraient « pas très futés »? Parce qu’ils sont issus de l’Amérique des trailers parks, celle qui est envoyée se faire flinguer en Afghanistan ou en Irak? Parce que Tatum interprète un ouvrier, au chômage qui plus est, et Adam Driver un modeste serveur? Parce qu’ils ont toute la panoplie et le background pour incarner l’Amérique qui a voté pour Trump? On comprend très vite qu’il n’en est rien, bien au contraire, et c’est encore à mettre au crédit de Steven Soderbergh, à la fois dans son écriture et dans sa mise en scène.

Quoiqu’il en soit, c’est là que Logan Lucky gagne ses lettres de noblesse et se démarque définitivement d’Ocean’s Eleven: dans le regard porté par Soderbergh sur ses personnages et en particulier sur le rapport touchant entretenu par celui de Jimmy avec sa fille. Là encore, Soderbergh se montre très fin, très sensible. Un autre que lui aurait bien mis l’accent sur LA motivation de Jimmy (sa fille donc) mais pas lui. Il se « contente » de suggérer la relation qu’ils entretiennent, leur complicité, l’importance qu’elle a pour lui etc. J’utilise des guillemets car évidemment, toute la difficulté réside dans cette distance parfaite, dans ce ni-trop-peu-ni-pas-assez si difficile à définir et à trouver.

Soderbergh porte le même regard sur les 2 frères dont on devine encore toute la complicité mais également les non-dits, les épreuves traversées etc. Il y a véritablement quelque chose de Fordien (John, pas Henry ni Tom) dans cette attention jamais putassière, cette empathie pour des personnages issus de ce qu’on désigne parfois en tant que heartland America, soit l’Amérique profonde des prolétaires, bons chrétiens ok mais bons galériens du quotidien surtout, qu’on retrouve également dans les chansons de Springsteen ou de John Denver, chanteur favori de Jimmy Logan.

Tout cela apporte une épaisseur inattendue à ce qu’on imaginait être, et qui le reste d’ailleurs, un vrai feelgood movie dans lequel on se marre beaucoup.
Logan Lucky permet enfin de vérifier que Soderbergh n’a rien perdu de sa coolitude: en témoigne notamment une bo à tomber, entre les petites vignettes composées par le fidèle David Holmes et le choix des titres, en parfaite adéquation avec le cadre, les personnages et l’atmosphère dans son ensemble (John Denver, Loretta Lynn, The Monks, Creedence Clearwater Revival etc.)

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