Je ne comptais rien écrire là-dessus tant les analyses et commentaires se multiplient un peu partout depuis lundi mais justement, certaines récurrences me poussent à réagir quand même brièvement.
Il va sans dire que ça spoile un peu.
Si j’en crois quelques personnes donc (qui semblent finalement assez nombreuses), le series finale de Breaking Bad serait « un peu décevant ». Déficit de « surprises » ou même de « tension » qu’ils disent. Allons bon… ALLONS BON. Non mais sérieux… Ouate ze phoque?!
Évidemment, niveau « surprises », « tensions », « émotion », difficile de surpasser l’antépénultième épisode, Ozymandias le bien nommé, véritable chef d’œuvre télévisuel taillé pour la postérité (et la postérité en l’occurrence, elle se limite pas à 5 ou 10 ans; va falloir s’accrocher pour qu’un épisode de série se hisse à un tel niveau de perfection). Big balls on Vince Gilligan, tellement sûr de lui et de sa création, qu’il nous balance son climax absolu 2 épisodes avant la conclusion définitive. Chapeau mec.
Alors quoi, la véritable surprise, c’est qu’il n’y a pas de surprise? C’est plus subtil que ça évidemment.
Même si, oui, on pourrait dire que la surprise c’est qu’il n’y en a pas: l’épisode s’évertue à conclure toutes les storylines, ou à dire adieu à tous les personnages, d’une manière assez conventionnelle, propre à satisfaire les fans (Badger! Skinny Pete! Ah les cons, ça faisait plaisir de les revoir!).
Et alors? C’est aussi ça une série, aussi unique et singulière soit-elle : honorer un cahier des charges commun, ce qui souvent inclut céder à un certain sentimentalisme. Rien de plus touchant et noble lorsque c’est fait dignement et avec sincérité. On peut même se permettre un mignon petit suspense à 2 balles, lorsque la précision de la mise en scène fait qu’il fonctionne quand même pleinement (« Mmmm, je me demande vraiment si Walter va réussir à se saisir des clés de voiture qu’on lui as ôtées dis donc… »)
Mais une surprise il y en a une et de taille, même si le final de l’avant-dernier épisode nous y avait en fait préparé: le retour de Walter White. Définitif, sans ambigüité. Exit Heisenberg. Exit le crâne rasé et ce bouc pseudo-méphistophélique. Exit le pork pie hat, qu’il a d’ailleurs voulu revêtir de manière grotesque dans l’avant-dernier épisode. Felina (le titre de ce tout dernier épisode, anagramme de « finale ») nous ramène mais également semble nous révéler tellement il semblait loin, Walter White tel qu’on l’a aimé et tel qu’on a toujours espéré le revoir: génialement intelligent, fier mais terriblement humain et touchant. Ses adieux, à Skyler, à Flynn, à Holly, à Jesse, sont tous déchirants car il a enfin tombé le masque.
Dès lors, cette surprenante séquence de conclusion, à la fois un peu ironique et d’un total premier degré, qui nous dit que Breaking Bad finalement, c’était une histoire d’amour entre un homme et la création de sa vie. Comme toujours dans la série, elle est d’une imparable évidence, a posteriori: durant 5 saisons, Gilligan nous a constamment troué le cul avec des rebondissements qu’on aurait du voir venir tellement ils tombaient sous le sens (LA marque de fabrique de Breaking Bad sur le plan feuilletonesque), la conclusion ne pouvait pas déroger à la règle.
Alors voilà, Breaking Bad c’est l’histoire d’un prof de chimie un peu frustré qui découvre un jour qu’il a un cancer et qui pour subvenir aux besoins de sa petite famille après sa mort programmée, se met à fabriquer et dealer de la méthamphétamine. Et il y prend goût parce qu’il est doué. Il ADORE ça même. Il ne trouvera la paix que lorsqu’il l’assumera enfin.
Je ne parlerai même pas du fait d’utiliser une chanson d’un de mes groupes fétiches pour illustrer cette grande scène d’épiphanie et d’auto-réconciliation quasi mystique.
En tout cas c’est ça une grande série, et un grand final: plusieurs saisons de rebondissements, d’empathie patiemment cristallisée autour d’un ou plusieurs personnages qui semblent trouver leur justification dans quelques minutes parfaites, quelques instants de grâce.
Un dernier mot: souvent après les moments forts de la série (et il y en a eu! ooooooooooooooh ouiiiiiiiiiiiiiiiiiii), j’ai pensé à Vince Gilligan. Ce gentil geekounet toujours souriant, l’air vraiment abordable et sympathique. A-t-il parfois conscience de la valeur de ce qu’il a accompli? Arrive-t-il parfois à se poser et à se dire « ah ben ouais, là dis donc c’est pas mal, j’ai bien bossé »? Évidemment on est loin de se l’imaginer en Heisenberg des showrunners, melonneux et bourré d’orgueil. Mais quand même, il a le droit d’être un peu fier merde! J’espère qu’il l’est en tout cas parce ce qu’il a accompli est d’une intégrité, d’une intelligence, d’une humanité absolument incroyables.
Allez, c’est dur mais il va falloir tourner la page. Comme le dit le gros serveur hawaïen dans Sans Sarah, rien ne va, « It’s like the Sopranos: it’s over. Find another show. »
Réflexion/interprétation vue en ligne et à laquelle je souscris : Granite State est la fin que devrait avoir la série, Felina celle que les spectateurs veulent voir.
Agree to disagree 😮
Pas un mot là-dedans que je ne reprendrais pas à mon compte, et bien sûr j’ai pensé à toi en voyant que la chanson finale était de Badfinger. 😉
Plus j’y repense, plus je trouve cet épisode final gigantesque. Plus encore qu’Ozymandias, à cause de son intégrité et de son humilité justement. Très Gilliganesque.
C’est simple : Breaking Bad était jusque là, pour moi, un show formidable car il était d’une efficacité incomparable sur le plan narratif et d’une ambition formelle jamais vue à la télé. Mais peut-être qu’il lui manquait un chouia d’âme pour être une très très grande série. Et bien c’est simple, toute l’âme qui pouvait parfois manquer à Breaking Bad est dans Felina. Et ce qui est très fort, c’est que cet épisode fonctionne vraiment comme un catalyseur, et donne de la valeur à tout ce qui a précédé. Comme s’il manquait le petit ingrédient pour transformer une bonne série (genre pure à 78%, un peu transparente) en quelque chose de toute beauté (96%) et que Gilligan l’avait gardé pour le dernier épisode.
Revu hier une interview de Vince sur Youtube où il explique que le meilleur choix qu’aient fait les scénaristes, c’était d’exposer dès le 4e ou 5e épisode de la 1e saison, au moment où Walt refuse l’argent des Schwartz, que ce n’était pas vraiment une question de fric ou de mettre sa famille à l’abri du besoin. C’était dès le départ une question de fierté, de ce qui fait qu’un homme pense qu’il a réussi sa vie ou non, « d’achievement » comme on dit au Nouveau-Mexique. Or moi aussi j’ai été surpris par ce finale qui fait de la blue meth le grand amour de la vie de Walt. Mais tout était là, dès le départ.
D’accord à 100% évidemment 😉 Y compris sur le petit manque d’âme parfois. Mais ce dernier épisode balaye effectivement tout ça.
Très intéressant et éclairant ce que tu relates.
Pour en rajouter une couche sur l’obsession (à mon avis) de Gilligan sur l’idée de « tout était présent dès le départ » : c’est une des consignes qu’il donne à ses auteurs, de piocher dans le background existant de la série avant d’introduire un nouvel élément narratif. Et quelle est la seule coquetterie de mise en scène qu’il s’accorde pour ce dernier épisode ? Des plans qui cachent, puis révèlent, à la faveur d’un léger mouvement de caméra, la présence de Walt dans un espace. Des plans qui disent que tout est déjà là dès le départ, qu’il suffit de voir les choses du bon angle. Comme le coup de clés dans la voiture. Comme Walt qui attend les Schwartz caché dans une ombre du jardin… La classe !
En effet
Merci pour ces éclairages Julien 🙂