La session de rattrapage 5

Aujourd’hui, une spéciale Jean-Pierre Marielle : j’ai relu le numéro 1 de Schnock qui lui est consacré, du coup, forcément, j’ai eu envie de revoir les films.

Un moment d’égarement

J’ai voulu le revoir car je me suis tapé le remake de Jean-François Richet avec Vincent Cassel et François Cluzet sorti cet été. Eh ouais. Purée… Faut le voir pour le croire.
« Le revoir » car je l’avais déjà vu il y a très longtemps : c’est le prototype du FDQJEP (Film De Quand J’Etais Petit), découvert en famille, probablement sur FR3. Des personnages proches de nous, des moustaches, Jean-Pierre Marielle, Victor Lanoux, des acteurs avec lesquels j’ai grandi, dans des films que le cinéma français ne sait manifestement plus faire i.e. des comédies dramatiques qui offraient un reflet plus ou moins prononcé de la société de leur époque : ici, la France giscardienne, post 68arde mais toujours conservatrice (les gamines se baladent le plus naturellement du monde les seins à l’air, sortent et découchent tous les soirs sans que ça soit jamais remis en question ni même discuté mais dans le même temps, on sent bien à quelques répliques ici où là que c’est pas encore gagné pour les femmes. Ca l’est toujours pas évidemment mais c’est un autre débat).

Des moustaches, un blouson de cuir marron, un paquet de Gitanes, une toile cirée. Parfait.
Des moustaches, un blouson de cuir marron, un paquet de Gitanes, une toile cirée. On est bien.

Quoiqu’il en soit, le contraste est saisissant entre les 2 versions (celle de Richet et celle de Claude Berri donc). D’un côté, une ode décomplexée aux neo-beaufs en 4×4, à la démarche bien faux derche comme il faut : on va dire que coucher avec la fille (mineure) de son meilleur pote, c’est mal mais on va quand même filmer son petit cul sous toutes les coutures, en alternant avec des prises de vues aériennes bien coûteuses sur les paysages corses. De l’autre, un film à la conclusion limite-limite, fruit de son époque ouvertement conservatrice pour le coup, mais qui déroule son propos avec beaucoup de fluidité et de douceur, et qui surtout exhale ce parfum de liberté inimitable et propre au cinéma anarcho-franchouillard des années 70.

La Traque

Je n’avais jamais vu ce film qui a acquis une petite réputation ces dernières années (encore une fois, Schnock n’y est probablement pas pour rien). Je pique le pitch à Wiki, j’ai la flemme : « Helen Wells (Mimsy Farmer), une jeune Anglaise venue en Normandie pour louer une maison isolée en forêt, rencontre un groupe de chasseurs qui s’apprêtent à une battue au sanglier. Ces sept hommes issus de la bonne société locale sont liés par des relations d’intérêts croisées. Lors de la chasse, les grossiers frères Danville, Albert et Paul (Jean-Pierre Marielle et Philippe Léotard), croisent à nouveau par hasard la jeune femme, et subitement la violent, en présence du timide Chamond (Michel Robin). Helen parvient à blesser gravement Paul avant de prendre la fuite dans les bois, poursuivie par Albert qui lui propose un mutuel silence, puis lui tire dessus. Les autres acceptent non sans réticence d’étouffer cette sale affaire, tandis que la jeune femme cherche à s’enfuir à tout prix. Entretemps Paul succombe à sa blessure, et la poursuite se transforme en une traque, qui s’achève dans un marais. » (Wikipedia)

Entre Constantin et Marielle, Michel Robin, aka Alexandre Bens dans La Chèvre
Entre Constantin et Marielle, Michel Robin, aka Alexandre Bens dans La Chèvre

On est donc dans un registre nettement moins tendre, voire carrément déviant. Sans aller jusqu’à dire que c’est surestimé, j’ai quand même du mal à y voir le film culte que certains y voient : la réalisation a du mal à se hisser à la hauteur du scénario, évidemment béton et génial lui, en plus du casting aux petits oignons. On songe à Dupont Lajoie bien sûr, autre chronique glaçante de la lâcheté et de l’ignominie ordinaires, sortie la même année. On peut également songer au Peckinpah des Chiens de Paille. On peut. Mais la mise en scène est beaucoup trop illustrative pour pousser plus avant la comparaison. Super parti pris néanmoins que de faire se dérouler le film quasiment intégralement à l’extérieur, dans des paysages tellement mornes et humides qu’ils t’obligeront à enfiler 3 Damart pour supporter tout ça. Et la scène du marais évidemment, terrible… Bon, je chipote, c’est super et je suis super content de l’avoir enfin vu.

Les Galettes de Pont-Aven

Encore un pur FDQJEP, découvert en famille alors que je devais à peine avoir 10 ans, et encore. Dans un tout autre registre, je me souviens aussi avoir découvert enfant Portier de nuit de Liliana Cavani
Bon, les Galettes. Film importantissime pour moi, film-matrice, à plein de niveaux, parce que découvert enfant évidemment. Petit, j’imitais d’ailleurs Jean-Pierre Marielle, à base de citations du film. Eveil à l’érotisme (Andréa Ferreol…), à un registre de langage totalement sans limites, à la mélancolie aussi, via le magnifique personnage d’Henri Serin, incarnation parfaite de cette France post-68arde encore corsetée et étouffée, éprise de liberté. La France des voyageurs représentants de commerce qui n’étaient pas encore prêts à faire basculer le pays à gauche, ancêtres des cadres houellebecquiens et des salariés en open space d’aujourd’hui.

"Elle sait même pas ce que c'est qu'une bite"
« Elle sait même pas ce que c’est qu’une bite« 

Avec le temps et les multiples visionnages, à des périodes et des âges différents, les Galettes… est devenu une madeleine incomparable, réservoir à nostalgie et à fantasmes d’une France remplie de DS, d’Ami 8 et de types en costumes Renoma (qu’on désigne d’ailleurs en tant que « types ») qui ne peuvent pas concevoir de manger un bout sans boire un petit coup de rouge. La France encore extrêmement rurale de mon enfance, que les gens de Schnock, encore eux, font si bien et si intelligemment revivre. Des images qui m’ont marqué à jamais : Marielle qui allume une clope et déplie l’Equipe en arrivant au restau, qui sort le pâté du frigo pour se faire un encas lorsqu’il rentre chez lui au milieu de la nuit. Entre autres.
Mais Les Galettes… sont également et fort heureusement restées ce qu’elles ont été dès le départ : un film formidable. Si on retient bien souvent, et à juste titre tant les passages sont mémorables, sa grivoiserie, sa paillardise même (la scène du lit avec Andréa Ferreol, son éternel et définitif « tu sens la pisse toi, pas l’eau bénite » et LA citation mariellesque absolue, « ah nom de Dieu de bordel de merde! »), les Galettes… n’en est pas moins un film profondément mélancolique, voire dépressif. C’est un aspect du film (la « descente aux enfers » d’Henri Serin lorsqu’il quitte sa femme et s’installe définitivement à Pont-Aven) que j’avais un peu oublié. Les premières scènes avec Jeanne Goupil, leur chanson pendant la fête du village… C’est très touchant. Et ça explique également ce qui fait de ce film un classique, une œuvre à la fois drôle et émouvante, profondément humaine, contrairement au suivant, qui n’est que drôle.

…Comme la Lune

Celui-ci a semble-t-il été moins bien accueilli que les Galettes de Pont-Aven, à la fois par le public et par la critique. C’est très compréhensible : Jean-Pierre Marielle y joue cette fois un con pur et dur, inexcusable et irrattrapable, qui mérite ce qui lui arrive. Le point de vue du spectateur, et du réalisateur probablement, que Joël Séria exprime d’entrée pour mieux l’évacuer définitivement et laisser place à son personnage, c’est le client du café qui le verbalise en réponse au « elle vaut bien son coup d’chevrotine! » de Marielle: « C’est répugnant! Parler ainsi d’sa femme… C’est honteux ».

...comme la lune
« J’vais t’fourrer… Oh j’vais t’fourrer, j’vais t’fourrer!« 

Après, que dire? Le film, le personnage de Roger Pouplard, son interprétation par Marielle, l’incroyable biatch incarnée par Sophie Daumier (pertinemment qualifiée dans Schnock de « France Gall hardcore ») sont fabuleux. Ces dialogues nom de Dieu… Je pourrais revoir en boucle la séquence d’ouverture (« ah j’ai bien polochonné! »), celle du bar (« Chuis d’venu une bite… J’la cartonne à longueur de journée ») et bien sûr celle de la robe de chambre violette (« T’as eu raison d’la prendre violette… ah ça mitraille sec ! »).
Ah les années 70 nom de Dieu de bordel de merde !